Face au manque de profs, l’académie de Toulouse a embauché des enseignants contractuels, dont certains n’ont pas d’expérience dans l’enseignement. Pierre Priouret, enseignant en mathématiques dans un lycée toulousain et secrétaire général du SNES-FSU Toulouse, dénonce l’important recours aux contractuels et surtout leur manque de formation.
Le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a assuré que tous les établissements auraient « un enseignant dans chaque classe » à la rentrée. Cela est-il le cas ?
Il manque pas loin d’un enseignant dans chaque collège et lycée de l’académie de Toulouse. En tout cas, cela correspond au premier retour que nous avons sur une trentaine d’établissements. Nous allons affiner tout cela dans les prochains jours, mais pour l’instant nous constatons ce que nous craignions.
Comment expliquer le manque d’enseignants dans l’académie de Toulouse pour la rentrée ?
Il y a plusieurs facteurs. Le premier c’est le mauvais rendement des concours au second degré. Nous n’avons pas fait le plein. Il n’y a pas eu suffisamment de candidats pour couvrir les besoins à la rentrée. Cela explique une grande partie des difficultés que nous connaissons. Ensuite, il y a une forte dégradation depuis plusieurs années de l’attractivité du métier d’enseignant.
Nous avons donc de moins en moins de candidats, de lauréats et même de contractuels parce que beaucoup sont recrutés par d’autres employeurs dans des situations salariales bien meilleures. Les gens évitent ou fuient la fonction enseignante. Le métier fait peur. Les effectifs des élèves sont élevés. De plus, un professeur est embauché à 13 % au-dessus du smic pour un recrutement niveau bac +5. C’est effectivement peu attractif.
Il y a aussi un problème de démission au sein de l’Education nationale…
Beaucoup d’enseignants cherchent à la quitter et n’y arrivent pas forcément. C’est un métier où vous êtes mal considéré, mal payé, où vous donnez beaucoup, la responsabilité est immense et la charge de travail aussi. Quand les gens ont une meilleure opportunité ils la prennent. On peut avoir la passion du métier mais quand on perd 25 % de pouvoir d’achat en 15 ans c’est compliqué pour faire vivre sa famille.
Le phénomène de démission n’est pas massif, mais c’est une réalité du métier. L’année dernière, nous avons eu 400 demandes de rupture conventionnelle d’enseignants dans l’académie de Toulouse. Et je ne parle pas de ceux qui ont démissionné sans indemnités. Il y a un mouvement impressionnant de collègues qui cherchent des portes de sortie pour faire autre chose de mieux considéré et rémunéré.
Comment faire pour attirer davantage de nouveaux enseignants ?
Il faut agir sur les salaires dans l’immédiat, puis construire des viviers de personnels susceptibles d’intégrer l’Education nationale. Pour cela, il faut des étudiants qui se projettent sur le métier d’enseignant. Ces cinq dernières années, 7900 postes ont été supprimés. Les étudiants ont donc bien compris qu’il n’y aurait probablement pas de places pour eux. Il faut donner de la visibilité sur les recrutements à long terme et aussi aider les étudiants à financer leurs études.
Nous proposons ainsi un système qui a fonctionné dans les années 70-80 lorsqu’il y avait le même problème de recrutement. C’est de salarier les étudiants, de les pré recruter dès la licence, de les payer pour faire leurs études en échange d’un engagement de leur part à servir l’éducation nationale, à passer les concours et à rester fonctionnaire pendant un certain temps. Faute de quoi, ils seraient amenés à rembourser les sommes qu’ils auraient perçues.
Pour pallier le manque d’enseignants, l’académie de Toulouse a embauché des contractuels. Ils sont au nombre de 260 dans le premier degré et 930 dans le second. Est-ce trop pour vous ?
C’est beaucoup trop. Ce sont des missions pérennes. Il faudrait recruter des personnels titulaires pour couvrir les heures à assurer devant les élèves et les remplacements du personnel lorsqu’il tombe malade.
Malgré ces embauches, 170 postes pour le second degré sont encore vacants. Le recteur a annoncé des chiffres « nettement meilleurs que ceux de l’année dernière ». Est-ce le cas ?
Nous avions 800 postes d’enseignants non couverts l’année dernière. Là, nous en avons au moins 200. Les chiffres sont donc plus faibles, mais le problème est plus grave. L’année dernière ces postes vacants étaient liés à des difficultés internes au rectorat. En clair, les personnes physiques existaient sauf qu’elles n’avaient pas été affectées. Elles étaient donc joignables et disponibles pour prendre un poste.
Cette année, c’est un problème de vivier. Il y a un manque de personnels contractuels. Il faut ainsi rechercher les personnes, faire les contrats puis les affecter. Par ailleurs, il y avait autour de 1 400 contractuels l’année dernière. Le rectorat sait ainsi qu’il va devoir en recruter encore 500 au total. Il en manque 200 dans l’immédiat et il en faudra 300 de plus pour couvrir les arrêts maladie qui vont immanquablement arriver.
Contrairement au second degré, il ne manque aucun contractuel dans le premier. Tous les postes ont été pourvus. Comment l’expliquer ?
Le rectorat a eu recours à la liste complémentaire, c’est-à-dire qu’il a recruté 68 étudiants qui n’avaient pas passé la barre des concours mais n’en étaient pas très loin. Cette possibilité n’existe pas dans le second degré ou très peu.
Je pense que le rectorat a aussi priorisé le premier degré pour une raison simple. Quand un enseignant de mathématiques est absent, les élèves ont trois ou quatre heures de cours en moins dans une semaine. Lorsqu’un enseignant du premier degré est absent, il n’y a pas classe de toute la journée. L’impact n’est pas du tout le même. Cela explique d’ailleurs que le premier degré ait toujours eu des systèmes de remplacement bien plus performants que ceux du second.
Parmi les contractuels embauchés au sein de l’académie, certains n’ont pas d’expérience dans l’enseignement. Ils sont au nombre de 150 dans le second degré. Avant de prendre en charge une classe, ils suivront une formation accélérée sur deux jours. Qu’en pensez-vous ?
Je ne sais pas si vous accepteriez de monter dans un avion conduit par un pilote formé sur deux jours… Former un enseignant ça prend cinq ans, dont deux pour assurer la maîtrise disciplinaire. Ensuite, il y a une année de formation lors de laquelle les enseignants sont à mi-temps. Il était donc considéré qu’il fallait a minima six mois de formation avant de pouvoir prendre une classe, alors deux jours ce n’est rien…
Même pas deux jours d’ailleurs, puisqu’il y a une journée d’auto-formation sur un site en ligne. C’est donc à peu près comme si on ouvrait un livre. Le métier d’enseignant ne s’apprend pas dans un livre, ni en deux jours. Il y a une vraie déqualification du métier qui est en train d’être opérée.
Le recteur a assuré que les contractuels sans expérience ne seront « pas en charge de classes difficiles ou en examen ». Y croyez-vous ?
Il peut émettre les recommandations qu’il veut, la réalité n’est pas du tout celle-là. Les services ont été organisés très en amont et ont bougé durant l’été parce que nous avons procédé à des ajustements selon les effectifs des classes. Les contractuels seront là où il restera des trous.
De plus, le recteur peut prendre cet engagement pour la rentrée sauf que le vrai problème surviendra dans un mois ou deux quand l’hiver arrivera et que les professeurs vont tomber malade. Les remplaçants contractuels devront prendre les classes sans professeurs qu’elles soient en examen ou pas.
Un protocole pour les contractuels a été mis en œuvre cette année avec les organisations syndicales. En plus d’un relèvement de l’indice de recrutement, il prévoit un recrutement sur 12 mois au lieu de 10. Est-ce une grande avancée ?
C’est un engagement à payer les congés d’été. Ce que le rectorat ne faisait pas ou peu. Il n’était en effet pas vraiment dans les clous de la réglementation par manque budgétaire. Cette année, il a obtenu une rallonge qui lui permet de s’engager à rémunérer les congés d’été comme le prévoit la réglementation. Cela n’a rien d’exceptionnel.
En réalité, le rectorat va juste se mettre dans la règle parce qu’il a le budget pour le faire. Mais il l’avance comme argument pour essayer d’attirer les contractuels. Beaucoup avaient d’ailleurs fini par ne plus postuler auprès du rectorat parce qu’ils en avaient assez de ne pas être rémunérés sur les congés d’été comme ils y avaient pourtant droit.
Ce protocole pour les contractuels vous satisfait-il ?
Nous ne pouvons que saluer les avancées pour les contractuels. Mais cela pose un problème de fond. Le ministère fait exercer des missions de service public, qui sont des missions pérennes normalement assurées par des fonctionnaires, à des personnels contractuels. Cela crée donc de la précarité et fragilise aussi le métier parce que les contractuels sont recrutés à bac +3 et donc pas au même niveau que les enseignants. Ils ne sont par ailleurs pas du tout formés ou très peu.
Nous avions ainsi demandé dans le cadre de la négociation du protocole que les contractuels puissent être recrutés selon un contrat qui les rémunère pour plus d’heures qu’ils n’en assurent devant les élèves. Cela aurait permis un système de formation continue dans les premières semaines de la prise de poste et éviter qu’ils ne démissionnent. Ce sont des gens qui ont envie d’essayer l’enseignement, c’est très louable. Mais chaque année, nous avons des contractuels qui restent deux jours dans l’établissement et s’en vont en courant parce qu’ils ne sont pas préparés, qu’il y a énormément de travail et que c’est un métier qui ne s’improvise pas.
Pour cette année 2022-2023, le protocole sanitaire a changé. Il est allégé puisqu’il n’existe désormais que trois niveaux d’alerte, au lieu de quatre, et un niveau socle. Que pensez-vous de ce nouveau protocole sanitaire ?
Nous sommes au niveau socle pour la rentrée. Je pense que le gouvernement n’a pas osé l’appeler niveau zéro parce que ça ne faisait pas bien. En clair, rien n’est prévu. La seule recommandation pratique c’est de ventiler les classes. Nous ouvrirons donc les fenêtres quand nous le pourrons. Je ne suis pas épidémiologiste mais si une vague se confirme, nous la prendrons de plein fouet.
Il aurait fallu une politique d’équipement des établissements pour assurer la qualité de l’air. Il y a des normes qui ne sont pas du tout respectées. C’est un gros chantier que les collectivités territoriales doivent prendre en charge et ce, sans compensation de l’Etat. Le nerf de la guerre c’est l’argent et ouvrir les fenêtres ça ne coûte pas cher. Mais l’efficacité reste très limitée…
Est-ce qu’il y a une crainte de devoir faire de nouveau cours à distance ?
Oui, car nous n’avons pas encore récupéré tout à fait les apprentissages qui ont été rompus pendant le premier confinement. Des élèves n’ont pas retrouvé complètement la posture d’élève et ont des lacunes importantes pas encore comblées. La fermeture d’un établissement est une catastrophe. Mais rien n’est fait pour l’empêcher.
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