Les vergers de Fontorbe dans le Tarn sont au cœur d’une véritable bataille entre le propriétaire et les associations de défense environnementale. Ces dernières dénoncent les « pratiques illégales » menées par le domaine.
« C’est une vraie victoire », affirme Olivier Cholet, coprésident de Vaurais Nature Environnement. Ce jeudi 6 avril, le tribunal judiciaire de Castres a déclaré nulles toutes les assignations et condamné le Domaine de Fontorbe à payer la somme de 1 500 euros à Vaurais Nature Environnement (VNE), l’Union pour la protection de la nature et de l’environnement du Tarn (UPNET), FNE Midi-Pyrénées, React Transnational, Les Coquelicots du Vaurais et à la confédération paysanne du Tarn, contre lesquelles il avait porté plainte pour dénigrement, après la diffusion en mars 2022 du documentaire “On nous enfume : quand la pomme nous empoisonne la vie”. Produit par les cinq associations et le syndicat agricole, celui-ci « montre les inquiétudes et la colère des riverains, la mobilisation citoyenne en cours et les différentes dynamiques pour faire évoluer la situation » face aux « pratiques invasives et dangereuses des vergers de Fontorbe », notamment, « les fumées antigel par brûlage de gasoil. »
Les associations se félicitent donc de la décision du tribunal judiciaire de Castres. Mais Lucas Crosnier, directeur du Domaine de Fontorbe qui exploite 325 hectares de vergers sur les communes de Lavaur, Ambres et Giroussens dans le département du Tarn, tient à préciser : « Le tribunal a dit qu’il n’y avait pas dénigrement, mais diffamation. Je ne comprends pas en quoi il s’agit d’une victoire pour les associations. » En effet, dans l’ordonnance du tribunal, il est indiqué : « les faits poursuivis par la SCEA Domaine de Fontorbe auraient dû l’être sur le fondement de la diffamation. » Le directeur du domaine compte faire appel de la décision du tribunal. Ce que les associations regrettent. « C’est une procédure bâillon. Il y a volonté de nous épuiser financièrement pour essayer de nous faire taire », estime le coprésident de Vaurais Nature Environnement qui promet : « Nous ne lâcherons pas l’affaire car nous nous battons pour protéger les habitants et l’environnement. »
Lucas Crosnier réfute, de son côté, toute « procédure bâillon. » « Si je fais appel, c’est parce que je veux faire valoir le dénigrement », indique le directeur du domaine avant d’ajouter : « Ce documentaire a pour ambition de faire peur. Il comporte des mensonges et des éléments sont sortis de leur contexte. Tout cela crée un cocktail alarmiste. » Olivier Cholet n’est pas de cet avis : « Nous dénonçons simplement les pratiques du domaine avec des faits. Il n’y a pas de dénigrement. » Pour justifier ses dires, Lucas Crosnier souligne : « Nos pratiques sont qualifiées d’illégales à plusieurs reprises dans ce documentaire. Or, ce n’est pas le cas. » Dans la description du film, l’on peut effectivement lire : « Parmi ces pratiques, certaines relèvent de l’illégalité : fumées antigel par brûlage de gasoil, épandages de pesticides par grand vent. »
Pour rappel, en avril 2021, les vergers avaient brulé des tonnes de paille imbibée de gasoil pour lutter contre le gel. Ce qui avait provoqué d’importantes fumées, entraîné le blocage d’une route et l’intoxication de plusieurs personnes. « Nous nous sommes excusés pour ces faits. Aujourd’hui, nous sommes dans le respect des réglementations », appuie Lucas Crosnier. Les associations ne sont pas de cet avis. Selon elles, des pesticides sont répandus sur les vergers par grand vent. « La réglementation interdit de traiter lorsque ce dernier dépasse les 19 kilomètres-heure. Ce qui n’est pas respecté », assure Olivier Chollet. Le directeur du domaine affirme le contraire. « Nous sommes dans les clous. Nous avons récemment eu des contrôles de police. Les anémomètres, qui mesurent la vitesse du vent, ont été vérifiés et il n’y avait rien à signaler », rapporte-t-il.
Justement, les communes d’Ambres, Giroussens, Labastide-Saint-Georges et également Saint-Lieux-les-Lavaur ont décidé d’installer leurs propres anémomètres connectés sur leur territoire afin de pouvoir évaluer eux-mêmes la vitesse du vent. « Plusieurs riverains nous ont alertés sur des épandages réalisés sur les vergers en dépit du vent. Mais nous ne pouvions être certains de la puissance de celui-ci. Ces anémomètres, connectés à une application, envoient des alertes quand la vitesse du vent dépasse les 19 kilomètres par heure. Les riverains peuvent alors se mettre à l’abri s’il y a des épandages réalisés à ce moment-là », explique le coprésident de Vaurais Nature Environnement. Lucas Crosnier se réjouit de ces installations.
« Nous possédons déjà dix anémomètres qui mesurent la puissance du vent sur une zone de 32 hectares chacun. Nous avons un maillage total. Ces sondes supplémentaires, de même marque et de même modèle que les nôtres, vont leur prouver que nous sommes en règle », estime-t-il avant de poursuivre : « Maintenant, je comprends que la réglementation en elle-même ne convienne pas aux associations. » En effet, pour Olivier Chollet, « la réglementation ne suffit plus. » Les associations souhaiteraient d’ailleurs que le domaine en fasse plus. « Nous voulons qu’il investisse à tous les niveaux, notamment qu’il passe en bio certaines parcelles, installe des filets de protection, des études sanitaires… », liste le coprésident.
Des demandes que les associations ont peu d’espoir de voir être mises en place. « Nous sommes coincés car pour faire bouger les choses, nous avons besoin du directeur des vergers et il n’y a plus de dialogue avec lui », regrette le coprésident de Vaurais Nature Environnement. Des tables rondes entre les élus des communes, des associations de riverains et le directeur du domaine avaient été mises en place. « Lors de la première, en septembre 2021, nous avions convenu de nous voir tous les deux mois. Une seconde avait donc eu lieu en novembre et une troisième était prévue en janvier. Sauf qu’une manifestation pacifique s’était tenue sur le lieu de la table-ronde et Lucas Crosnier avait décidé de boycotter cette dernière et de ne plus venir aux suivantes », rapporte le coprésident de Vaurais Nature Environnement.
Le président du domaine confirme et souligne : « Ces tables rondes devaient être des réunions de travail pour avancer constructivement. Mais j’ai été accueilli par une manifestation lors de laquelle étaient brandies des pancartes me traitant d’assassin. » Il ne veut donc plus prendre part à de telles tables rondes sauf si la préfecture du Tarn est à l’initiative de celles-ci. En attendant, le domaine a décidé d’organiser des portes ouvertes. Deux ont déjà eu lieu et une troisième est prévue en septembre prochain. « Nous avons pris conscience qu’il y avait une crainte de la part des riverains et une confiance à reconstruire avec eux. Les portes ouvertes leur permettent de poser leurs questions et de voir les vergers », détaille Lucas Crosnier qui assure aussi être ouvert au dialogue avec les associations. « Je les ai d’ailleurs rencontrées lors des portes ouvertes de la coopérative et ai échangé avec elles pendant plus d’une heure. Je n’ai jamais refusé de débats et de discussions », soutient-il.
Outre le manque de dialogue, les associations déplorent une absence de transparence de la part du directeur du domaine. « Il ne veut pas préciser les produits épandus sur les vergers ni le calendrier des épandages. Nous les lui demandons depuis un an. Avoir ces données nous permettrait de les croiser avec celles du vent mesurer par les anémomètres », indique le coprésident de Vaurais Nature Environnement. Lucas Crosnier se justifie : « Quotidiennement, une partie des vergers est traitée. Mais si nous envoyons le plan de traitement tous les jours, les associations vont s’en saisir et conduire à l’inquiétude des riverains. » Le directeur du domaine dénonce d’ailleurs une « guerre de communication », les associations également. « Je n’ai aucun problème avec le fond de leur combat. Je remets en cause uniquement la forme », déclare Lucas Crosnier. De leur côté, les associations demandent juste à « ce que les choses reprennent dans le bon sens. »
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