Cinq ans après le lancement du plan “Mixité” dans les collèges, porté par le Conseil départemental de la Haute-Garonne à Toulouse, la fondation Jean Jaurès met en lumière des résultats satisfaisants, tant au niveau des notes des élèves considérés comme issus de milieux sociaux “défavorisés”, que de leur intégration auprès de nouveaux camarades.
Plus de mixité pour de meilleurs résultats. Le pari semble gagnant. La Fondation Jean Jaurès, centre de recherche sur les évolutions de la société, tire de nouvelles conclusions concernant le déploiement du plan “Mixité” dans les collèges, porté par le Conseil départemental de la Haute-Garonne depuis 2016 à Toulouse.
Ce dispositif consiste essentiellement à repenser la sectorisation des collèges pour lutter contre la ségrégation sociale. Ainsi, dès la rentrée 2017, le Département a organisé l’intégration de 1 140 élèves, initialement scolarisés dans le secteur du Grand Mirail, dans 11 collèges plus “favorisés” de la métropole toulousaine.
Pour faciliter la transition, la collectivité a déployé un réseau de navettes gratuites vers ces nouveaux établissements d’accueil, situés à moins de 35 minutes du lieu d’habitation des enfants. Le Département a également limité le nombre d’élèves en sixième à 25 par classe, afin d’assurer le bon déroulement des cours.
Les premiers résultats de cette opération ont de quoi satisfaire : là où le taux de réussite du Brevet s’élevait à 50% avant la mise en place du plan “Mixité”, il atteint 63% en 2021 et jusqu’à 70% en 2022. Soit 20 points de plus.
Aussi, parmi les deux premières promotions de jeunes qui ont bénéficié du dispositif, la plupart ont choisi d’intégrer le lycée rattaché au secteur de leur collège d’accueil. Ceci montre l’attachement de ces élèves à leurs nouveaux établissements – et à leurs nouveaux camarades ? Plus de la moitié d’entre eux s’est tournée vers une seconde générale et technologique, 34% sont entrés en seconde professionnelle et 4% en CAP. Pour finir, 4% ont redoublé.
Isabelle Bertolino, doctorante en sciences de l’éducation, a réalisé un suivi des élèves tout au long des premières phases de déploiement du plan “Mixité”. Son rapport définitif d’évaluation ne sera rendu qu’au printemps prochain. Toutefois, la doctorante formule déjà quelques remarques encourageantes.
Déjà, elle constate que les élèves développent rapidement un sentiment d’appartenance à leur établissement d’accueil. Aussi, que le dispositif favorise leur ouverture culturelle, étant donné qu’ils fréquentent des camarades originaires d’autres milieux sociaux que ceux auxquels ils appartiennent. Isabelle Bertolino assure néanmoins qu’à cet âge-là, les élèves ont « beaucoup moins de préjugés et de stéréotypes que les adultes ». De plus, la rentrée en sixième est une « situation nouvelle » pour tout le monde, que ce soit des jeunes issus de milieux défavorisés ou non. L’intégration est donc un « défi pour l’ensemble des élèves, et pas seulement pour ceux du Mirail », conclut-elle. Ce qui facilite d’autant plus leur intégration.
En parallèle de cette expérimentation visant à changer les élèves d’établissements, le Conseil départemental de la Haute-Garonne a impulsé une fermeture progressive de deux collèges appartenant au réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+), dans les secteurs du Mirail, de la Reynerie et de Bellefontaine. Ces derniers comptaient plus de 85% d’élèves issus de milieux défavorisés. Peu de mixité sociale, donc.
Pour les remplacer, deux nouveaux collèges ont ouvert leurs portes à proximité, dès la rentrée 2022. Celui de Saint-Simon accueille à la fois les élèves du quartier privilégié de Saint-Simon et ceux de Bellefontaine. Puis, celui de Guilhermy a intégré des élèves de Badiou, de Bellefontaine et du Mirail, mais aussi de Cugnaux et de Tournefeuille. Des projets pédagogiques, autour des arts vivants pour l’un et des métiers de l’image pour l’autre, y sont menés.
Aussi, le Département instaure depuis trois ans un système financier incitatif, basé sur le modèle de “bonus-malus” qui récompense, ou au contraire sanctionne, les collèges qui jouent le jeu ou non. L’objectif est « d’offrir aux établissements, publics comme privés, accueillant une part importante d’élèves issus des catégories sociales les plus défavorisées, les moyens de réaliser des projets éducatifs ambitieux susceptibles de corriger les inégalités et le déterminisme social », développe Marine Calazel, conseillère de Sébastien Vincini, président du département de Haute-Garonne.
Si les établissements font un effort de mixité, ils peuvent bénéficier d’en moyenne 54 euros par élève. En 2022, sur les 97 collèges publics de Haute-Garonne, 56 ont bénéficié d’un bonus et un seul d’un malus. Les autres sont restés dans la tranche intermédiaire. Pour les 21 collèges privés du territoire, aucun d’entre eux n’a obtenu un bonus quand 13 se voient appliquer un malus. La Fondation Jean Jaurès ne mentionne pas les noms de ces établissements. Ce qui signifie que les établissements privés n’ont, pour la plupart, pas participé à l’effort social.
Selon le rapport de la Fondation Jean Jaurès, ce plan “Mixité” n’aurait pas pu être mené à bien sans l’importante phase de concertation réalisée auprès des familles pendant les premiers mois du projet. En effet, plus de 1 000 parents d’élèves (ou représentants légaux) ont travaillé aux côtés des élus du Département, de la Ville, de la Métropole, de la Préfecture, puis des représentants des personnels et des parents membres du Conseil départemental de l’Éducation nationale, pour définir ensemble les priorités du dispositif. Soit : la mixité dans les collèges, surtout classés REP+, pas seulement à l’échelle de Toulouse mais bien dans l’ensemble de la métropole, et plus largement, du département.
En définitive, l’expérimentation du plan “Mixité” en Haute-Garonne semble parfaitement fonctionner sur le territoire, tant scolairement que socialement. Il pourrait même être dupliqué dans d’autres villes de France dans les prochaines années. Par ailleurs, le Conseil départemental a tout de même souligné le manque d’un cadre réglementaire ou législatif clair et obligatoire qui permettrait d’ancrer durablement le dispositif à l’échelle de Toulouse, comme du département.
Les enfants issus de milieux défavorisés sont les premières victimes du phénomène de ségrégation sociale dans les collèges. Selon Iannis Roder, directeur de l’Observatoire de l’éducation à la Fondation Jean Jaurès, la concentration de leurs familles au sein d’un seul et même territoire entraîne inévitablement la concentration de ces enfants dans les mêmes établissements scolaires. Notamment à cause du système de répartition par secteur dans les écoles, collèges et lycées les plus proches (appelé sectorisation, NDLR). Les élèves fréquentent donc quotidiennement des adolescents qui ont la même vision du monde qu’eux, empêchant notamment le développement de leur pensée et de leur esprit critique. Ceci « ne peut que les enfermer dans des spirales d’échec dont ils ne pourront jamais sortir », soutient Iannis Roder. Les seuls liens avec “l’extérieur” que ces enfants peuvent avoir sont ceux avec leurs professeurs, généralement issus d’autres milieux sociaux que le leur. Toujours selon l’historien, il est pourtant essentiel – en plus d’avoir un droit d’accès à la connaissance – que les jeunes adolescents puissent quotidiennement échanger avec des semblables d’horizons différents. Dans le cas contraire, l’absence de mixité a des effets dévastateurs : « Échec scolaire, décrochage, déscolarisation, perte de confiance en soi et d’ambition scolaire, problèmes de santé publique et montée des violences scolaires », énumère Marine Calazel, conseillère auprès du président du conseil départemental de la Haute-Garonne Sébastien Vincini.
Commentaires