Après l’installation de l’enseigne Popafood, l’une des plus grandes dark kitchens de Toulouse, les habitants du quartier des Chalets ne décolèrent pas. Ils dénoncent l’implantation de ces “cuisines fantômes”, et les nuisances quotidiennes qu’elles génèrent. Au travers d’une tribune libre accordée à l’association du quartier Chalets-Roquelaine, le Journal Toulousain leur donne la parole.
L’implantation de “cuisines fantômes”, uniquement dédiées à la livraison à domicile, se multiplie en France. On en dénombrerait 2 000 sur le territoire. A Toulouse, nous sommes en retard. En retard ? Oui si l’on considère le nombre de ces installations : trois. Mais pas du tout si l’on considère les nuisances qu’elles apportent. Car l’intérêt “d’être en retard”, c’est de pouvoir faire un peu de veille et d’observer ce qu’il se passe dans d’autres villes.
Les principales nuisances sont liées au bruit : bruit des moteurs de scooters qui arrivent et repartent, bruit des livreurs qui patientent dehors, jusque tard le soir, bruit des camions de livraison. Le bruit s’accompagne souvent d’incivilités (stationnement des scooters sur les trottoirs, disputes entre livreurs, voitures et camions de livraison garés où ils peuvent), de l’augmentation du nombre d’accidents et de la pollution. Sans parler des odeurs de friture.
A Toulouse, dans le quartier des Chalets, un ancien restaurant a été racheté pour y installer douze dark kitchens qui produiront chacune 50 à 80 repas par jour. Lorsque tous les box seront opérationnels, ce sont donc 600 à 900 repas qui seront réalisés quotidiennement. Combien de scooters pour les livrer chaque jour ?
Les fondateurs de dark kitchens profitent d’un vide juridique. A Toulouse, Popafood (code d’activité : location immobilière) n’a pas déposé de permis de construire puisqu’il prétend être encore un restaurant, ce qu’il n’est pas, pas plus que ne le sont les box loués.
Les incivilités de stationnement ne sont pas du ressort des dirigeants, mais des sociétés de livraison. Celles liées à la livraison des matières premières relèvent des locataires des box. Conscientes de ce renvoi de balles et du flou juridique, certaines municipalités ont décidé d’agir. A Nantes, les scooters thermiques ont été interdits en centre-ville à partir de 11h30. A Lille, la municipalité incite dark kitchens et dark stores à s’installer dans des zones d’activités et appelle l’État à légiférer. A Bruxelles, la ville a interdit l’installation d’une cuisine fantôme en centre-ville. Et à Toulouse ?
Nous ne sommes pas dupes. Si ces projets se multiplient, c’est qu’ils trouvent des clients. Mais ne nous enfumez pas avec votre projet « innovant et créateur d’emplois ». Issus du monde du numérique, rompus à la novlangue de la start-up nation, les deux fondateurs de Popafood visent pour toute innovation l’aménagement de locaux, leur location à différentes enseignes virtuelles et la réalisation d’une plateforme reliée à Deliveroo et Uber Eats, sans assumer de responsabilités. Un projet créateur d’emplois ? Si les dark kitchens se multiplient, c’est surtout parce qu’elles sont rentables : pas de personnel en salle, peu en cuisine, imposant aux livreurs sous-payés des conditions de travail indignes.
Non, nous n’avons pas peur de la nouveauté et il nous arrive de commander un plat en sortant du travail. Nous l’avons fait un peu plus pendant la pandémie, et en cela, nous avons soutenu les restaurateurs. Nous avons aussi redécouvert notre quartier, des liens se sont noués avec les voisins, les commerçants. Aujourd’hui, nous voilà dans ce “monde d’après” dont nous parlions tant. Dans notre belle rue de la Concorde, la plus animée du quartier, un dark store a remplacé un commerce. Voulons-nous que nos rues commerçantes se transforment en une succession de vitrines fermées ? Voulons-nous que des dark kitchens surdimensionnées remplacent les restaurants en centre-ville ? Voulons-nous que les rues se vident d’habitants, ceux-ci étant incités à se faire livrer des repas chez eux ? Faudra-t-il que dans quelques années, à l’instar de nombreuses villes moyennes, la mairie de Toulouse, qui soutient l’installation de ce type d’établissement, adopte des mesures de redynamisation du centre-ville ?
Défendons nos commerces, nos quartiers et une autre idée du vivre ensemble !
Marie-Laure Ichanjou
Présidente de l’Association du quartier Chalets-Roquelaine
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