Inflation, augmentation des coûts de l’énergie et des matières premières, remboursement des aides consenties pendant la crise sanitaire… Les entreprises accumulent les difficultés, surtout les petites et moyennes. Malgré tout, Vincent Aguilera, président de la CPME de Haute-Garonne ne semble pas inquiet pour les deux à trois prochaines années. Il estime que si « les entreprises doivent se préparer à serrer les dents en 2023, la conjoncture redeviendra favorable en 2024 ». Il s’explique.
Vincent Aguilera, quel est l’état de santé des PME de Haute-Garonne, tous secteurs confondus, en ce début d’année 2023 ?
Cela fait trois ans maintenant que nous subissons des crises successives. Après la crise sanitaire due à la Covid, nous faisons maintenant face à une inflation galopante, à la guerre russo-ukrainienne qui impacte les productions de céréales, les coûts des matières premières et de l’énergie. Ainsi, la plupart des PME se trouvent dans l’expectative, sans aucune visibilité. Nous sommes certes résilients, mais jusqu’à un certain point. Nous ne disposons plus d’indicateurs stables qui nous permettent de nous adapter.
Si cela fait plusieurs années que l’incertitude s’est installée, nous avons pu bénéficier en 2020 de fonds de solidarité exceptionnels, ce qui a permis de sauver pratiquement toutes les entreprises. Puis de Prêts garantis par l’État, les fameux PGE. Et enfin, de reports de charges sociales et fiscales. Nous disposions alors d’une ressource financière, au travers de ces aides. Donc, bon an mal an, même si la conjoncture était défavorable, l’État nous a maintenus en vie. Aujourd’hui, les difficultés imprévisibles se cumulent. Et des coûts comme celui de l’énergie, qui ne représentait qu’une petite part des bilans des PME, devient majoritaire et met clairement en danger les entreprises.
« Ne plus vouloir produire, tant que les coûts de l’énergie ne baisseront pas »
Des entreprises pourraient-elles mettre la clé sous la porte en raison de l’augmentation du coût de l’énergie ?
En 2022, les défaillances enregistrées étaient essentiellement celles d’autoentrepreneurs et d’entreprises qui devaient, de toute façon, mourir naturellement. Donc, cela ne nous inquiétait pas outre mesure. Jusqu’à ce que, en janvier 2023, arrive en plan de sauvegarde, en redressement judiciaire ou en liquidation au tribunal de commerce, des PME plus importantes, qui pourraient entraîner avec elles leurs fournisseurs et sous-traitants. Nombre d’entre elles affirment ne plus vouloir produire, tant que les coûts de l’énergie, notamment ceux de l’électricité, ne baisseront pas. Certaines passent de 150 000 à 700 000 euros d’électricité sur leurs factures. Même avec l’amortisseur énergétique, celles-là doivent encore trouver plus de 300 000 euros de résultat si elles veulent passer l’année. Mais, nous ne pourrons réellement évaluer l’impact de ces augmentations de prix sur les entreprises qu’entre la fin du premier et du deuxième trimestre 2023, au moment où de nombreux contrats d’électricité vont être renégociés.
Quels sont les secteurs d’activité qui devraient être les plus touchés ? Et, au contraire, ceux qui seront épargnés ?
Les entreprises évoluant dans les domaines de l’aéronautique, du spatial, de la santé, de la chimie, des services et de la biotechnologie s’en sortiront bien. Il s’agit de structures qui restent peu impactées par les variations des coûts des matières premières ou de l’énergie car peu consommatrices. Les plus touchées vont être celles de l’industrie, de la production, les commerces de proximité comme les bouchers ou les boulangers… et plus généralement, toutes les entreprises qui consomment plus de 36 kilovolts-ampères, et qui n’auront donc pas droit au bouclier tarifaire.
« À la CPME 31, nous conseillons aux entrepreneurs de revoir leurs prix à la hausse »
Ainsi, aujourd’hui, les principales difficultés des PME restent l’inflation et les augmentations des coûts de l’énergie et des matières premières…
Plus précisément, les difficultés viennent du fait que ces hausses ne sont pas forcément répercutées par les entreprises sur les prix de vente aux consommateurs. De nombreuses sociétés ont peur d’augmenter leurs tarifs, pensant qu’elles vont perdre des clients. Mais si elles ne le font pas, elles se condamnent elles-mêmes. À la CPME 31, nous conseillons aux entrepreneurs de revoir leurs prix à la hausse. Cela entraînera sûrement une diminution des commandes. Cela amènera peut-être à devoir se séparer de collaborateurs, par effet domino. Mais cela permettra de pallier la baisse de chiffre d’affaires et ainsi de sauver l’entreprise. Car si celle-ci ferme, le patron aura tout perdu et tous les salariés se retrouveront au chômage ! Personne n’est gagnant.
Cette conjoncture défavorable vient s’ajouter à l’obligation, depuis juillet dernier, de rembourser les Prêts garantis par l’État (PGE).
Il y a là un effet ciseaux. Les entreprises subissent une inflation jamais connue depuis les années 1980, que nous n’avions pas vue venir. Nombre d’entre elles, n’osant pas augmenter leurs prix, enregistrent une perte de résultat. Ainsi, l’excédent brut d’exploitation ne permettra bientôt plus de rembourser les PGE. Pour l’instant, très peu de sociétés ne parviennent pas à respecter leur échéancier, car beaucoup disposent encore de trésorerie. Ainsi, si tout va bien sur le papier pour l’instant, nous prévoyons une dégradation de la situation dans les tout prochains mois.
« Il était impossible de prévoir la guerre russo-ukrainienne ou l’augmentation des prix de l’énergie »
Diriez-vous alors que les coups de pouce d’hier (PGE et reports de charges) constituent une partie des difficultés d’aujourd’hui ?
Tout à fait, et nous avions d’ailleurs déjà alerté à ce sujet. Les avances ou les moratoires sur paiements restent exigibles. L’acquittement des charges a été décalé de manière conséquente, de nombreux prêts ont été accordés facilement. Il faut maintenant payer. Et l’inflation que nous connaissons aujourd’hui rend les choses plus difficiles. Cependant, je ne jetterai pas la pierre au gouvernement qui a fait ce qu’il fallait faire pour sauver les entreprises, dans un contexte précis qui était celui de la crise sanitaire. Il était impossible alors de prévoir la guerre russo-ukrainienne ou l’augmentation des prix de l’énergie.
Que conseillez-vous aux PME qui, dans le contexte actuel, ne peuvent plus rembourser ces aides ?
Elles doivent reporter au maximum les échéances des PGE, et étaler les plans d’apurement dans le temps le plus possible. Jusqu’à 15 ans s’il le faut. L’important étant de permettre à l’activité de se maintenir pour que l’entreprise rembourse ses dettes. Les créanciers ont tout intérêt à accepter sous peine de ne jamais récupérer les sommes dues. De même, les entreprises en difficulté doivent penser à restructurer, à renégocier l’ensemble de leurs dettes et pas seulement leur PGE.
« Il faudra serrer les dents cette année pour pouvoir rebondir ensuite »
Vous dépeignez un tableau plutôt noir de l’état actuel des PME. Quelles sont les perspectives ? Quelles sont vos prévisions pour 2023 ?
La Banque de France prévoit une année 2023 relativement compliquée, mais pas catastrophique. Nous enregistrerons alors un recul des embauches, des chiffres d’affaires et de la création de richesse. Mais si, et seulement si, le conflit russo-ukrainien ne se propage pas et si les conditions climatiques ne s’aggravent pas, seule l’année 2023 restera difficile. L’inflation va diminuer, à hauteur de 2%, car les gouvernants vont tout mettre en œuvre pour la faire baisser. Alors, en 2024-2025 la croissance sera de retour. Ainsi, la situation économique tendue que nous connaissons aujourd’hui ne s’installera pas durablement. Il faudra donc serrer les dents cette année, ne pas faire de dépenses exagérées, pour pouvoir rebondir ensuite.
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