Supposée contrebalancer les dégradations infligées à la biosphère, la pratique de la « compensation écologique » se généralise et gagne tous les secteurs d’activité. Nombre de voix en dénoncent les abus, et son “principe fallacieux”. Des scientifiques toulousains de l’Atelier d’écologie politique (Atécopol) expliquent pourquoi et demandent l’interdiction de cette compensation écologique pour libérer la politique écologique de l’emprise néolibérale. Le Journal Toulousain leur donne la parole.
Telle une baguette magique, la “compensation” est censée effacer les dégâts que nos sociétés infligent à la biosphère. Son utilisation se généralise à tous les secteurs d’activité et pour tous les types de dégradation. Ainsi, il est maintenant possible d’acheter un ordinateur, de faire le plein d’essence ou d’acheter une bouteille de gaz sans se soucier des émissions de gaz à effet de serre associées : quelqu’un se chargera de planter des arbres pour absorber autant de carbone que ce qui est émis. Si une entreprise produit du plastique, il est possible depuis peu d’acheter des “crédits plastiques”. L’industrie minière peut également continuer à priver les populations locales d’eau et à contaminer leurs terres à l’arsenic, puisqu’elle “compense” ces dommages en payant leurs études à des étudiants vivant dans les zones touchées.
Dans un long article argumenté et sourcé, publié sur le site Internet de l’Atelier d’écologie politique (Atecopol), nous réclamons officiellement l’interdiction de la compensation écologique. Nous considérons que les différentes pratiques de compensation sont du greenwashing, qu’elles ne résolvent aucun des problèmes écologiques qu’elles prétendent traiter, et sont symptomatiques de la dérive néolibérale de nos sociétés. Le principe même de compensation est selon nous fallacieux, niant la nature de la biosphère, sa complexité, et son état fortement dégradé. Nous argumentons finalement que cette décision permettrait de reprendre la main sur les politiques écologiques.
Loin d’être un mécanisme de régulation du capitalisme basé sur le principe du pollueur-payeur, comme cela est souvent avancé, la compensation est un outil de greenwashing mis
à la disposition du capitalisme pour le libérer des contraintes écologiques. Il ne s’agit pas seulement d’un problème sémantique : remplacer compensation par contribution comme cela a été proposé ne suffira pas, c’est bien le concept même qui pose problème. Au même titre que la publicité mensongère, la loi devrait l’interdire purement et simplement.
Il semble indispensable de se libérer de l’imbroglio et des leurres de la compensation pour pouvoir enfin agir de façon cohérente et concertée. Interdire la compensation c’est dans un même mouvement se dégager des marges de manœuvre et se réapproprier les politiques écologiques. Il existe de nombreuses alternatives, allant de la planification et la régulation par l’État (sans laisser la main aux entreprises) à des organisations plus démocratiques et horizontales impliquant tous les citoyens. Il ne s’agit plus de gérer la Nature comme une entité extérieure pouvant être objet d’ingénierie et de comptabilité, mais d’instaurer une gouvernance des communs, dans lesquels seraient inclus la zone critique avec tous les agents qui la composent (nous y compris) et toutes les relations d’interdépendances qui en font la trame.
Enfin, renoncer à l’idée même de compensation constituerait une étape dans la transformation de notre rapport au monde vers plus d’égard à la zone critique, ses agents et leurs relations d’interdépendances. Car cela implique de prendre conscience de notre appartenance à ce tissu et de notre responsabilité dans ses dégradations. Assumer pleinement cette responsabilité est aujourd’hui indispensable pour ne plus se laisser illusionner par de fausses solutions et préserver l’habitabilité de notre planète.
Frédéric Boone, Julian Carrey, Odin Marc, Guillaume Carbou, Laure Laffont, Laure Vieu, Geneviève Azam, Jean-Paul Malrieu, Vincent Gerbaud de l’Atécopol et Marion Coutance du collectif “Campus d’après Grenoble”
L’Atecopol participe, depuis son lancement à l’automne 2018 à Toulouse, à la construction d’une communauté pluridisciplinaire de scientifiques travaillant ou réfléchissant aux multiples aspects liés aux bouleversements écologiques. L’atelier réunit des chercheurs d’une très grande variété de disciplines (voir ses participants) et de quasiment tous les établissements de recherche toulousains.
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