Ce mercredi 8 avril, Emmanuel Macron annonçait la suppression de la prestigieuse École nationale d’administration (ENA) et son remplacement par un Institut du service public (ISP). Un peu plus tôt, nous interrogions Delphine Espagno, maître de conférence à l’Institut d’études politiques (Sciences Po) de Toulouse et responsable du parcours Carrières administratives, sur la pertinence d’une telle réforme. Entretien.
Comment réagissez-vous à l’annonce d’Emmanuel Macron de supprimer l’ENA ?
Je suis assez perplexe. Il me semble que cela représente beaucoup d’énergie consacrée, en pleine période de crise sanitaire, à une réforme dont l’intérêt me semble très limité. Mais supprimer l’ENA n’est pas une idée nouvelle. Elle revient régulièrement depuis sa création en 1945. Le président Emmanuel Macron, s’y était d’ailleurs engagé au moment de sa candidature. Puis il l’avait remise au goût du jour à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes. Supprimer l’ENA est une mesure démagogique et électoraliste qui est surtout susceptible de répondre à une demande sociale et politique à l’approche des élections.
Que reprochez-vous à ce projet de réforme ?
En supprimant l’ENA pour la remplacer par autre chose (l’Institut du service public, NDLR) le Président de la République met en œuvre une mesure qui est avant tout symbolique. En fait, on supprime surtout le nom. C’est même une décision paradoxale qui intervient alors que l’on vient de mettre en place des dispositifs censés apporter de la diversité au sein de l’école. Notamment grâce aux classes talents et à des concours spécifiques d’entrée pour les étudiants boursiers. En définitive, c’est surtout une façon d’affirmer un changement politique. En tant que spécialiste de la haute administration et de la fonction publique, je trouve que le projet n’a pas de réel intérêt. Même s’il peut être légitime et intéressant de réformer les programmes, la formation ou les concours.
Comprenez-vous la volonté d’Emmanuel Macron de réformer les carrières des hauts fonctionnaires ?
Cela dépend de la nature des réformes. Mais, pour ma part, je suis très attachée au statut de fonctionnaire et je suis opposée à la contractualisation dans le service public. D’abord parce que la contractualisation n’est pas nécessairement un gage de l’amélioration du travail. Ensuite parce qu’être fonctionnaire implique d’adhérer à des principes et des valeurs qui sont inscrits dans le statut. La crise sanitaire l’a encore démontré, pour faire fonctionner l’État nous avons besoin, entre autres, de fonctionnaires bien formés et compétents. Je crains que tout cela contribue a renforcer le fonctionnaire bashing.
Y a-t-il une fracture entre le gouvernement et les hauts fonctionnaires ?
Il y a surtout une fracture entre le gouvernement et les citoyens. Pour les hauts fonctionnaires, j’ai l’impression qu’il y a des difficultés de compréhension de la politique du gouvernement. Cette mesure va forcément les irriter et les faire réagir. Mais, dans les propositions du Président de la République, il y a beaucoup d’autres mesures bien plus importantes que la suppression de l’ENA, qui est une réforme finalement assez cosmétique. C’est cela qu’il faut observer avec attention.
Nicolas Belaubre
Nicolas Belaubre a fait ses premiers pas de journaliste comme critique de spectacle vivant avant d’écrire, pendant huit ans, dans la rubrique culture du magazine institutionnel ‘’à Toulouse’’. En 2016, il fait le choix de quitter la communication pour se tourner vers la presse. Après avoir été pigiste pour divers titres, il intègre l’équipe du Journal Toulousain, alors hebdomadaire de solution.
Voir les publications de l'auteur
Commentaires