Souvenir. Un an après sa disparition, tout le monde parle encore de Dominique Baudis … Depuis le 14 avril dernier son buste en bronze illumine désormais la cour Henri IV de « son » Capitole, et depuis le 18 mai une exposition lui est consacrée dans le square De Gaulle avec une sélection de ses photos de reporter, son premier métier. Mais aujourd’hui quel héritage a réellement laissé l’ancien édile à sa ville ?
Par Coralie Bombail et Thomas Simonian
Un véritable héritage politique
Dominique Baudis a marqué sa ville, comme il a marqué les gens qui l’ont côtoyé. Majorité et opposition confondue. Chacun le raconte à sa manière, avec son vécu, mais les idées se rejoignent souvent. Pierre Esplugas, actuel adjoint de Jean-Luc Moudenc, a cette particularité d’être entré dans le cercle intime de Dominique Baudis une fois que ce dernier n’était plus maire. Ironie du sort, la première vraie rencontre a même lieu en 2001 au soir de l’élection de Philippe Douste-Blazy. Pourtant, enfant, Pierre Esplugas regardait déjà avec admiration ce politique atypique venu de la télévision : « Le Toulouse de mon enfance était un gros village. Avec Baudis cette ville a changé de dimension, et est devenue la métropole d’aujourd’hui … De par son aura il a su donner une incarnation, une image à Toulouse. » Le métro, la médiathèque José Cabanis, la cité de l’Espace, le Zénith, autant de réalisations qui ont marqué l’histoire de cette ville mais qui ne font pas forcément le véritable héritage que Dominique Baudis a laissé à sa ville : « La réalité est que Baudis a personnifié cette ville. Son héritage est donc davantage dans l’exercice du pouvoir municipal que dans ses réalisations … », analyse Stéphane Baumont, politologue et biographe* de l’ancien maire. Gérard Folus, qui a été adjoint au maire de Dominique Baudis pendant 12 ans partage cette opinion : « l’héritage Baudis, c’est sa manière de diriger la ville avec maestria, avec autorité –mais pas autoritarisme- et détermination », estime-t-il. L’ancien élu se rappelle d’une phrase emblématique que répétait souvent le maire de l’époque : « Je ferai de Toulouse une ville forte et douce à la fois ». Gérard Folus retient la vision de l’homme, « une vision d’avenir qui l’a poussé a réaliser le métro, il voulait sortir Toulouse de la province pour en faire une grande métropole et c’est devenu aujourd’hui incontestablement le cas ». L’affirmation ne fait pas l’unanimité. La gauche locale n’a eu de cesse de remettre en cause ‘‘la gestion Baudis’’, marquée par l’orthodoxie budgétaire de son proche conseiller Pierre Trautmann (surnommé le maire bis). Jean-Jacques Mirassou, élu de l’opposition pendant 19 ans dont 12 sous Dominique Baudis nuance le bilan de l’ancien maire : « On peut dire que Dominique Baudis a géré la ville en bon père de famille, mais il n’a pas donné d’impulsion à Toulouse, notamment dans les domaines urbanistique et culturel. » Pour autant, il garde de « bons souvenirs » de ces années d’opposition : « En tant que jeune élu, c’était très formateur, les conseils municipaux commençaient tôt le matin et finissaient tard le soir. Dominique Baudis pouvait être féroce, il y a eu de très grandes batailles mais c’était comme au rugby : dur mais correct ! » se souvient-il. Pas facile d’être opposant à un maire qui récoltait également les voix de gauche aux élections municipales… « Il y avait une alchimie entre lui et la population, c’était quelque chose d’irrationnel, on pouvait sortir ce qu’on voulait, ça glissait sur l’opinion publique comme de l’eau sur les plumes d’un canard », raconte Jean-Jacques Mirassou, légèrement exaspéré, encore aujourd’hui. Pour lui, il ne fait aucun doute que l’homme était de droite et non un centriste modéré comme tout le monde le pense. « Il n’y a qu’à voir ses votes à l’Assemblée nationale sur les sujets sociétaux », mentionne-t-il. Pourtant Gérad Folus tient à nous démontrer le contraire, via un exemple très précis : « Il m’avait chargé d’être le représentant local d’un nouveau mouvement qui se créait sous Mitterrand, ‘‘La France unie’’, qui rassemblait des gens de gauche et de droite. » La tentative a échoué mais « ça reste un symbole fort, surtout pour moi qui suis passé de la gauche modérée à la droite modérée », confie-t-il. Ultérieurement membre des radicaux de gauche, il a délaissé son premier parti pour rejoindre l’UDF et se rallier derrière Dominique Baudis : « ça avait fait du bruit à l’époque ! » Un symbole à lui seul… Aujourd’hui, il assure une certaine continuité car il fait partie de l’équipe Moudenc, en tant que secrétaire général de ‘‘Toulouse Fraternité-Conseil de la laïcité’’. Le signe d’un héritage encore présent ?
Moudenc, digne héritier ?
Pour l’adjoint Pierre Esplugas, « il y a un héritage politique porté aujourd’hui par Jean-Luc Moudenc. Le Capitole de 2015 ressemble à celui de Dominique Baudis. C’est celui de la modération et de l’absence de solutions brutales. » Moudenc serait donc le digne héritier du maire historique … Les faits tendent à le prouver car c’est l’influence de Baudis qui a fait qu’en 2004 Jean-Luc Moudenc devient maire pour la première fois à la faveur de la démission de Philippe Douste-Blazy, devenu alors ministre. Durant cet épisode Dominique Baudis avait réuni ses fidèles à son domicile de la rue des Potiers. Françoise de Veyrinas, Jean Diebold et Serge Didier, trois adjoints historiques de l’ère Baudis font face à l’ancien maire qui leur demande de se mettre d’accord pour la suite… Dès lors, les trois élus comprennent qu’ils ne seront pas maire, et que tout accord sera impossible à sceller. Jean-Luc Moudenc profite alors habilement de la situation, multiplie les rendez-vous secrets et devient l’édile surprise. Diviser pour mieux régner.Si le parcours de l’actuel édile en fait donc un fils politique de Dominique Baudis, Stéphane Baumont tempère sur l’exercice du pouvoir : « Le maire actuel a façonné sa carrière dans les pas de Dominique Baudis et de Philippe Douste-Blazy, mais il a su habilement s’émanciper au fil du temps. » Il est vrai qu’en 2008 les déchirements entre Baudisiens et Douste-Blaziens ont sans doute valu à Jean-Luc Moudenc une défaite aux municipales face à Pierre Cohen. «Cet échec a marqué la fin d’un cycle, l’effet Baudis a pris une décote » remarque Jean-Jacques Mirassou, qui signale au passage « qu’il reste peu de rescapés de l’époque Baudis dans les adjoints du maire actuel »… Un choix volontaire ? Pour Stéphane Baumont, Jean-Luc Moudenc a su « écrire sa propre histoire. Il a même réussi à faire ce que peu de gens l’imaginaient pouvoir réussir… Il a compris qu’il fallait politiquement sortir du cocon Baudis, d’autant que nombre de néo-toulousains ne connaissent pas forcément l’ancien maire. »
L’homme aux multiples facettes
Une exposition nous permet de découvrir aujourd’hui une autre facette de Dominique Baudis. Celle du journaliste. Mieux du photo-reporter : « Cette exposition permet de montrer aux Toulousains qu’ils ne savaient pas tout de leur maire. Je vois dans ces photos un homme passionné, pleinement heureux … Comme s’il n’avait pas été si heureux que ça en politique, car je reste persuadé que son destin politique reste inachevé. Il aurait pu devenir ministre, il aurait pu devenir président de l’Assemblée nationale, il aurait pu devenir président du CDS (centre des démocrates sociaux, ndlr) … Il aurait pu », commente Stéphane Baumont. Gérard Folus rappelle qu’il avait même « tenté le perchoir sous Jacques Chirac » et qu’il faisait partie à l’époque « des quelques quadras capables de diriger la France ». Pierre Esplugas n’est pas pour autant convaincu : « Pour que son parcours soit inachevé, encore aurait-il fallu qu’il veuille réellement quelque chose. Or, Dominique Baudis croyait en la théorie des cycles. Il a eu un premier cycle en tant que journaliste, un deuxième qui a été Toulouse, et ensuite il y a eu le CSA, l’Institut du Monde arabe et le Défenseur des droits. A chaque fois il a su tourner les pages avec facilité et sans regarder dans le rétroviseur. » Il marque une seconde de silence avant de reprendre, « en vous parlant je me rends vraiment compte combien je l’admirais. Jusqu’au bout il m’a impressionné … Il impressionnait car il était impressionnant. »
* « Baudis : un destin politique inachevé », aux éditions Privat
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