Image. Alors qu’on entame le sprint final de la campagne des régionales, il est temps de se pencher sur la communication de nos candidats. Derrière les sourires des affiches de campagne, les stratégies marketing des uns et des autres en disent long sur leur situation politique.
Par Coralie Bombail et Séverine Sarrat
Cette campagne est inédite en plusieurs points. Stoppée net par les attentats de Paris, les candidats ont dû s’adapter à ce nouveau contexte national marqué par le deuil et la peur. Il est devenu difficile de faire campagne sur les compétences régionales –transports, emploi, formation- quand les gens n’ont plus qu’une seule chose à l’esprit : la menace terroriste. « Ils ne peuvent plus se faire entendre sur leur programme, car ce qui structure aujourd’hui la pensée des électeurs, c’est la sécurité et le contre-terrorisme », analyse Michel Santo, ancien DGA de la Région Languedoc-Roussillon, qui tient le blog Contre-regards. Du coup, les discours ont été réorientés sur la préoccupation principale du moment. Sur ce point, le candidat de la droite Dominique Reynié (LR) avait une longueur d’avance, en annonçant dès septembre sa volonté d’établir un plan régional de sécurité. Louis Aliot (FN), n’a plus qu’à surfer sur les événements en reprenant le discours traditionnel frontiste sur l’immigration. Il est vite rejoint par le candidat Debout La France, Damien Lempereur, qui va présenter ce jeudi à Toulouse ses mesures sécuritaires en présence du président national du parti Nicolas Dupont-Aignan. La droite est sur le coup.
« Les partis ont joué le mauvais jeu de faire intervenir les candidats à l’Assemblée »
La candidate socialiste Carole Delga n’est pas en reste puisqu’elle a annoncé la création d’une zone de défense régionale (Toulouse dépend aujourd’hui de la zone de défense de Bordeaux, et il était prévu qu’elle passe sous la gestion de celle de Marseille après la réforme territoriale). Le reste de la gauche est plus prudente sur le sujet… « En organisant un meeting républicain à Carcassonne, Carole Delga dit : ‘‘La campagne de la République, c’est moi’’, ‘‘La campagne de la fermeté, c’est moi’’ », poursuit Michel Santo. En tant que députée, elle s’est également exprimée à l’Assemblée nationale, alors que la campagne était encore en arrêt. « Les partis ont joué le mauvais jeu de faire intervenir les candidats, c’était un peu indécent », reconnait le conseiller régional sortant socialiste Jean-Paul Makengo. Il n’empêche, la candidate PS s’est imposée dans la communication post-attentats, allant jusqu’à organiser une conférence de presse (qui est en soi un acte de campagne) pour annoncer qu’elle prolongeait l’arrêt de sa campagne. En parallèle, elle a envoyé un courrier à 1 million d’exemplaires aux habitants de la région, en réaction aux événements. Une initiative habile qui répond à une difficulté qui concerne tous les candidats : « Les professions de foi, le seul document de campagne qui est vraiment lu par les électeurs, ont été imprimées avant les attentats et seront donc en décalage avec le contexte », regrette Gérard Onesta, candidat EELV (liste Nouveau monde en commun). Au final, la campagne se sera à peine interrompue le temps du deuil national.
Une campagne tradi qui en dit long
Elle reprend son cours, de manière traditionnelle, sur le terrain : collage des affiches officielles, tractages… L’analyse de ces documents peut s’avérer révélatrice. On constate par exemple, que Carole Delga apparait toujours seule, tandis que Dominique Reynié prend souvent la pose aux côtés de ses colistiers. « C’est un contre-sens politique », avance Michel Santo, « normalement c’est la gauche qui s’affiche en équipe, qui privilégie le collectif, alors que le droite a la culture du leader solitaire. » Comment l’expliquer ? « C’est le signe d’une difficulté évidente que rencontre Carole Delga à faire apparaitre ses candidats, elle préfère neutraliser les contradictions internes qui se posent notamment avec Sylvia Pinel (tête de liste PRG dans le Tarn, qui doit être vice-présidente de la Région en cas de victoire), et Damien Alary (président PS de Languedoc-Roussillon). Il y a aussi le problème du second tour qui va faire exploser le cartel de têtes autour d’elle », explique Michel Santo. Autre raison : Carole Delga souffre d’un manque de notoriété, elle doit donc impérativement communiquer sur sa personnalité : « Il faut que les gens impriment son visage, si elle pose à côté d’autres personnes, personne ne pourra identifier qui elle est », poursuit Jean-Paul Makengo. De son côté, Dominique Reynié, qui a du mal à se défaire de son image de parisien parachuté, « doit montrer qu’il est d’ici en s’affichant aux côtés des barons locaux », précise l’élu socialiste. Mais cela n’a pas toujours été sa stratégie. Au début, il communiquait sur sa personne uniquement : « Sur les premières affiches imprimées, il est seul, les électeurs ne voient que lui. Ce sont ses têtes de liste départementales qui lui ont expliqué que, chez eux, il n’était pas connu, qu’il devait intégrer les colistiers locaux dans sa communication », rappelle un proche de la droite régionale. Selon cette source, « Il voulait se faire passer pour l’homme neuf, le quinqua sauveur, l’homme de télé… bref l’homme providentiel. Une communication très américaine qui ne marche pas ici. »
« C’est un très bon dialecticien, il sait que le collectif ne peut pas se passer d’un leader »
Ces élections régionales « sont des mini-présidentielles, qui vont se jouer sur la personnalité des candidats et non sur les programmes », selon Michel Santo. Or la quasi-totalité des têtes de liste sont peu connues, à l’exception du vice-président du FN Louis Aliot. Celui-ci mène une campagne sur son nom et son image, et utilise peu le visage de Marine Le Pen sur ses divers supports de communication. « On a l’impression qu’il veut apparaitre comme un candidat de droite catho et s’éloigner de l’image d’extrême-droite, ce qui peut marcher », remarque Jean-Paul Makengo. A gauche, Gérard Onesta joue le collectif avec sa liste ‘‘Nouveau monde en commun’’, mais il reste le plus visible de son mouvement. Sur ses tracts de meeting, par exemple, sa photo est en couleur alors que celles de ses colistiers sont en noir et blanc. « C’est un très bon dialecticien, il sait que le collectif ne peut pas se passer d’un leader », affirme Michel Santo, « il a une image de marque en Midi-Pyrénées, sur laquelle il s’appuie, mais il est totalement inconnu en Languedoc-Roussillon. » Pour Jean-Paul Makengo, « il est égal à lui-même, c’est-à-dire un homme compétent mais auprès de qui il est difficile de se faire une place. » Quant à Philippe Saurel, il est le seul candidat à paraitre debout, en mouvement, signe d’un homme d’action qui détonne avec les portraits studio classiques de ses adversaires. Une stratégie qui s’inscrit dans sa logique « de faire de la politique autrement ». De manière générale, on constate que les campagnes de gauche sont très marquetées, avec logos et graphismes travaillés et des noms de liste qui ne mentionnent aucun parti politique : Notre Sud (Carole Delga), Nouveau monde (Gérard Onesta), Citoyens du Midi (Philippe Saurel), Bien commun (Christophe Cavard). A droite, la communication met en avant des slogans plus classiques : « Avec Dominique Reynié, je m’engage pour ma Région », par exemple.
Une présence sans précédent sur les réseaux sociaux
« C’est la première fois qu’on constate une telle présence sur les réseaux sociaux dans une campagne locale », constate Jérémy Ferrer, consultant en communication publique et réseaux sociaux. Il a analysé les comportements des candidats et il en ressort que le maire de Montpellier Philippe Saurel (DVG) a « la puissance de frappe la plus intéressante, il a su mobiliser une armée digitale ». Sur le mois dernier, la liste Citoyens du Midi a émis plus de 14 000 tweets, contre 3000 pour Carole Delga et 2000 pour Dominique Reynié. L’ensemble des colistiers est mobilisé, tweet, partage, affiche en photo de profil « #Jesuiscitoyendumidi ». « A chaque fois que je publie un texte sur Philippe Saurel, je bats les records de fréquentation de mon blog et de partages », témoigne Michel Santo. Mais tous les candidats ont compris l’importance de la présence sur les réseaux sociaux. « Par contre on remarque qu’ils se répondent souvent entre eux et ont du mal à s’ouvrir à tout le monde », précise Jérémy Ferrer. Il relève également que les candidats restent dans une communication classique « du haut vers le bas », sur les réseaux sociaux, alors « qu’ils auraient pu s’en servir comme un outil collaboratif, cela aurait eu du sens dans une campagne où la gauche met en avant la participation citoyenne. » Les partis traditionnels, à l’instar du PS et des Républicains, où la moyenne d’âge des militants est relativement élevée, « il faut former les troupes aux langages web et aux codes des réseaux sociaux, ce n’est pas parce qu’on tweete sur un sujet qu’il devient intéressant ! »
« Il faut former les troupes aux langages web et aux codes des réseaux sociaux »
Ces partis comptent davantage sur leur base militante pour faire un travail de terrain, les réseaux sociaux sont un outil supplémentaire de communication. Tandis que pour les petites listes, ils représentent un moyen de communication efficace à moindre coût. Les réseaux sociaux sont aussi le lieu de toutes les polémiques, attaques et petites phrases. Il n’y en a qu’une qui ne joue pas à ce jeu-là : Carole Delga. Que ce soit sur son compte officiel, ou via les autres de comptes de campagne (Avec Delga, la Haute-Garonne avec Delga etc…), elle ne répond jamais aux attaques et ne relaient pas les polémiques qui visent son adversaire. « Carole Delga est en tête, elle doit tenir cette posture, sans se laisser entrainer dans ce jeu où les autres candidats essayent de l’attirer », analyse Jean-Paul Makengo. Elle a quand même quelques ‘‘porte flingue’’ dans son entourage qui peuvent sévir à sa place, via leur comptes personnels. Mais rien d’équivalent au travail de ses adversaires à son encontre, qui vont jusqu’à faire des montages parodiques… Quoiqu’il en soit, on ne remarque pas encore de corrélation entre la performance sur les réseaux sociaux et les scores dans les sondages. Pour preuve, les intentions de vote en faveur de Philippe Saurel sont en baisse depuis le début de la campagne (5% selon le dernier sondage). « La campagne ne se joue pas sur les réseaux sociaux, mais on voit tout de même que les médias classiques relaient de plus en plus ce qui passe sur les réseaux », conclut Jérémy Ferrer. La preuve. Comparaison du nombre de tweets entre les équipes Saurel, Reynié et Delga. Réalisé par Jérémy Ferrer, consultant en communication sur les réseaux sociaux.
La communication des candidats aux régionales n’a pas due être aisée car, vu de Midi-Pyrénées, nous avons observé une déferlante de ‘’nouvelles têtes’’. Hormis, Gérard Onesta et Carole Delga, les autres étaient inconnus des électeurs. Et le processus est le même du côté du Languedoc-Roussillon, où les affiches électorales ont révélé de nouveaux visages inconnus dans leur région. Sans compter, les candidats qui n’étaient identifiés ni dans l’une ni dans l’autre. Ce manque d’identité de la nouvelle Région, l’absence d’ambiance de campagne, ajouté aux attentats de Paris, ont conduit à une communication 0 pendant au moins 15 jours. Toute la question est de savoir qui va bénéficier de cette non-communication ponctuelle qui a en réalité véhiculée de nombreux messages ? Carole Delga va-t-elle hériter de l’aura momentanée de François Hollande, Louis Aliot va-t-il engranger les voix sécuritaires ? Dans tous les cas, il sera difficile de poursuivre la campagne en faisant abstraction des événements du 13 novembre.
De plus, il me semble que la communication ne pourra pas inversée une tendance ou décider les abstentionnistes pour la simple et bonne raison qu’il aurait d’abord fallu expliquer aux électeurs pourquoi il leur est demandé de voter pour des listes départementales alors qu’il s’agit d’élections régionales. Pour moi, le mode de scrutin a induit une mauvaise communication d’emblée, qui aurait d’abord due être pédagogique.
Et puis, le nombre important des listes n’aident pas les candidats dans leur communication. Les médias TV et radio, soumis à la surveillance du CSA, vivent un véritable casse-tête pour respecter les temps de parole. Ils n’invitent alors que les leaders L. Aliot, C. Delga, G. Onesta et D. Reynié qui s’expriment plus sur leur personne et sur les attentats que sur leur programme pour la région.
Pour finir, j’ai le sentiment que Gérard Onesta a peut-être mené la meilleure campagne, en matière de communication. Il est parvenu à donner une illusion de respect des électeurs, de franchise, l’impression que nous n’avons pas à faire à un politicien. A l’inverse, Dominique Reynié s’est totalement trompé car on ne passe pas de politologue à politicien en un claquement de doigt et cela s’est vu. Mais au final, celui qui aura le mieux assurer sa communication… c’est Martin Malvy. Il a bien expliqué son départ et à assurer le passage de témoin avec Carole Delga.
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