Carton rose. Le bleu semble être la couleur de la France, au lendemain des élections départementales. Mais en Haute-Garonne, la droite n’a pas réussi le pari de s’imposer sur le territoire. Trois cantons sur vingt-sept… C’est ce qu’on appelle une déculottée. Analyse et perspectives.
Par Coralie Bombail et Thomas Simonian
Jean-Claude Duphil, spécialiste de l’histoire politique de la ville rose, se dit « surpris de l’ampleur du succès socialiste en Haute-Garonne. » Pour l’auteur de « Toulouse socialiste » (Ed. Empreinte) ce succès électoral est « difficile à expliquer car d’autres départements fortement ancrés à gauche dans le Nord ou en Bretagne sont tombés. » Pourtant une explication prend tout de même vite le dessus : « Dans le Sud-Ouest les départements ont été bien défendus. Durant les discussions autour de la réforme territoriale des élus comme Pierre Izard ont soutenu l’échelon départemental … » Pierre Trautmann, adjoint au maire de Toulouse, et fin analyste des résultats électoraux, porte un autre point de vue : « Il ne faut pas forcément être étonné de ce qui s’est passé dimanche. Nous avons une sociologie qui n’a rien à voir avec les départements du Nord. Ici, et ce grâce notamment à l’aéronautique, nous avons environ 10 000 nouveaux arrivants par an dans l’agglomération toulousaine… Plutôt des profils jeunes entre 25 et 45 ans, et donc favorables à la gauche. En fait, les victoires de la droite au Capitole (Baudis, Douste, Moudenc – ndlr) sont un « trompe l’œil » … » Mais si on peut expliquer la victoire de la gauche, comment alors analyser une telle déroute pour la droite (seulement 3 cantons sur 27) : « La communication de Jean-Luc Moudenc a eu comme résultat le sentiment d’une mainmise de la métropole sur le département. Il est sans doute allé trop loin dans l’exercice. La stratégie était hasardeuse. Par ailleurs, ses maires de quartiers ne sont pas encore assez connus … Il faut qu’ils travaillent davantage leur implantation, c’est ce que montre aussi le résultat de ce scrutin », commente l’historien. Et d’ajouter une interrogation sur les dernières élections municipales : « Jean-Luc Moudenc n’aurait-il pas été élu sur un comportement anti-Cohen des électeurs toulousains ? Si la réponse est oui, le maire doit adapter son action municipale à ce postulat. » Une analyse partagée par notre politologue, l’universitaire Stéphane Baumont, « n’y a-t-il pas eu dans certains quartiers des règlements de compte anti-Cohen durant la campagne municipale ? »
« Si le peuple n’est pas d’accord, dissolvons le peuple » (Berthold Brecht)
Du côté de l’UMP 31 on souhaite vite oublier cette déroute. Trop vite ? Nous avions sollicité un commentaire du côté de la droite toulousaine. Voici le retour par SMS : « On souhaite passer à une autre séquence et donc on ne fera pas d’interviews post départementales. » Une posture qui a ses limites pour Stéphane Baumont : « Attention l’UMP et l’UDI ne doivent pas avoir un comportement autistique, qui s’apparenterait à celui de Manuel Valls sur le plan national. Cette droite toulousaine ne doit pas être silencieuse face à l’expression du suffrage universel ; elle doit répondre pour alimenter la démocratie. Il faut respecter les électeurs, et tenir compte du message envoyé. On ne peut pas tourner la page aussi facilement, au risque de déconvenues encore plus grandes … » Et de mettre en garde une droite qui ne doit pas faire sienne la citation de Bertold Brecht : « Si le peuple n’est pas d’accord, dissolvons le peuple. » En interne, certains n’hésitent pourtant pas à émettre des questionnements malgré l’omerta en vigueur : « Je n’ai rien contre les accords entre partis, mais le risque avec un tel procédé est de ne pas avoir forcément les meilleurs candidats possibles sur tous les cantons », nous confie Loubna Zair, élue d’opposition à Colomiers, qui n’a pas renouvelé son adhésion à l’UMP.
Comment la droite peut-elle rebondir ?
Le politologue Stéphane Baumont conseille ainsi Jean-Luc Moudenc : « Ce maire-là sait réagir et il l’a déjà prouvé par le passé. Il doit vite communiquer sur sa vision pour la ville. Il ne doit pas rester silencieux, et se suffire à gérer les affaires courantes. Les Toulousains ont envoyé un signal. Il ne faut pas croire que les élections départementales et municipales sont si déconnectées que ça … Elles ont en commun le concept de proximité.»
L’historien Jean-Claude Duphil trace même une feuille de route : « La droite a du pain sur la planche. Elle doit s’enraciner dans les quartiers et dans les associations si elle souhaite rester en place durablement à Toulouse … Les maires de quartiers doivent notamment prendre leurs responsabilités, et devenir davantage visibles. » Du côté de l’élue columérine, Loubna Zair, on n’hésite pas à provoquer une remise en question : « Il faut changer de stratégie, et ne plus mettre au placard des personnalités qui sont représentatives sur le terrain. Nous devons également travailler collectivement à un maillage plus pertinent du territoire afin d’être en place pour les régionales, les législatives et bien entendu les municipales. Même si nous sommes sur une terre socialiste, il faut se battre, il faut y croire.» Au Capitole, Pierre Trautmann n’est pas inquiet, il est même confiant dans la capacité du maire à garder le cap : « Les Toulousains sont contents de leur maire. S’il y avait une élection municipale aujourd’hui, il la gagnerait haut la main … Tout remettre en question serait une erreur. »
Désaveu ? Lorsqu’on analyse les résultats de plus près, on constate que la droite perd les cantons ruraux où le FN est fort, mais elle perd aussi en terres toulousaines, dans les quartiers sensibles…
Que s’est-il passé en un an ? Aux dernières élections municipales, Jean-Luc Moudenc avait créé la surprise en remportant les quartiers populaires de Toulouse. Il a devancé Pierre Cohen notamment au Mirail et aux Izards, avec parfois plus de 10 points d’écart. Aujourd’hui, sur les mêmes territoires, la tendance s’est inversée. Sur le canton Toulouse 6, qui regroupe les quartiers du Mirail, Lafourguette, Bordelongue, Papus, Faourette, Oustalous, Pradettes, Saint-Simon, Tibaous et Croix-de-Pierre, Marie-Jeanne Fouqué et Franck Biasotto (union de la droite) obtiennent 45,02% quand les socialistes sont à 54,98%. Sur le canton d’Empalot, l’écart se creuse, 60% – 40%, en faveur de la gauche. Aux Izards, Vincent Gibert et Marie-Claude Farcy (PS), l’emportent avec une légère avance (51,47%) face aux candidats de droite.
À part Jean-Louis Chavoillon (UMP), sur Toulouse 5, tous les candidats de la droite sur ces cantons sont des élus de la majorité municipale. Pour Antoine Maurice, élu d’opposition EELV, l’explication est claire : « Cela traduit la déception qu’incarne la nouvelle majorité, les promesses électorales dans les quartiers ont été démagogiques voire clientélistes… Au bout d’un an, les gens sont déçus ». L’élu n’hésite pas à dénoncer « la manipulation des habitants de quartier, auxquels on a beaucoup parlé de promesses d’embauche, c’est un retour que j’ai assez souvent entendu dans les marchés pour pouvoir le dire ». Ces faits, même s’ils étaient avérés, ne peuvent pas expliquer une telle défaite. Mais les ‘‘signaux’’ émis par la nouvelle équipe à la population depuis un an, peut-être : le tout sécuritaire, entre la vidéo-surveillance, les brigades anti-marginalité, l’armement de la police municipale, est clairement une priorité municipale transposée dans la campagne des départementales (alors que ce n’est pas une compétence de cette collectivité). Si on rajoute à cela, l’accent mis sur la lutte contre la fraude au RSA, la priorité mise sur les économies budgétaires… La droite n’a pas mis toutes les chances de son côté pour séduire l’électorat populaire. En revanche, « elle gagne trois cantons dits « riches » : Toulouse 4 (Carmes, Saint-Etienne, Palais de Justice) qu’on savait difficile à gagner, puis les cantons 10 (Balma) et 11 (Côte Pavé, Ramonville, Montaudran) », remarque François Carbonnel, secrétaire fédéral du PS 31, pour qui « la droite a certainement eu plus de mal à mobiliser son électorat sur cette élection où les enjeux sont principalement sociaux ».
L’abstention, grande gagnante
« Quand on voit qu’à Empalot, l’abstention a avoisiné les 80% sur certains bureaux de vote au premier tour, comment savoir ce qui est significatif ? », s’interroge Jean-Christophe Sellin, responsable des élections au Parti de gauche 31. Effectivement, si on regarde les chiffres des cantons qui nous intéressent (Toulouse 5, 6, 8), l’abstention approche les 60% au second tour et bat les records du département. « Les électeurs avaient le choix entre soutenir le gouvernement ou la municipalité ! » clame Jean-Christophe Sellin, qui voit dans les scores d’Alternative citoyenne « une envie de renouveau et de proximité ». Pourtant, Jean-Luc Moudenc a rétabli les maires de quartiers, qui sont souvent des jeunes élus, et qui étaient en outre candidats… Le pari du renouvellement, déjà amorcé dans l’équipe municipale, s’est poursuivi aux départementales. Censé être un point positif, les nouvelles têtes n’ont pas fait le poids face aux sortants socialistes…
La dernière explication que l’on peut soulever pour comprendre les scores de la droite aux départementales, renverse quelque peu le débat : pourquoi Pierre Cohen a perdu les quartiers populaires aux municipales ? « Il y a eu un rejet de la désaffection des quartiers par la politique de Pierre Cohen », tranche Jean-Christophe Sellin, qui était également tête de liste aux élections municipales. Une théorie que l’on entend aussi dans les rangs du PS… Mais en off. Ces élections départementales seraient-elle en fait le signe d’un retour à la normal ?
3 questions à Michaël Parpillat
Secrétaire fédéral du PS 31, en charge des élections
Etes-vous surpris des résultats de ces élections ?
Je suis surpris, évidemment. Cette campagne n’était pas facile dans un contexte national moribond et après la perte de Toulouse aux municipales. Beaucoup voyait le PS mort… Jean-Luc Moudenc et la droite ont mis le paquet en présentant de nombreux élus issus de la municipalité. Ces résultats montrent que les Toulousains restent attachés à l’égalité des territoires.
Pourquoi l’effet Moudenc n’a-t-il pas marché ?
D’abord, la Haute-Garonne est une terre historiquement de gauche. Le maillage des élus locaux socialistes et radicaux, qui ont labouré le terrain, donné du temps et de l’énergie à leur mandat, ce n’est pas abstrait. Le très bon bilan du Conseil général a joué en notre faveur. Nous avons axé la campagne là-dessus alors que la droite a voulu nationaliser l’enjeu du scrutin. Les électeurs ne se sont pas trompés d’élection. Jean-Luc Moudenc a également voulu opposer urbain et rural, ce qui a été un échec. Parler de la troisième ligne de métro ou de la deuxième rocade a déstabilisé les électeurs du rural. D’ailleurs la droite n’a aucun élu en dehors de Toulouse.
La montée du FN a –t-elle tué la droite ?
Le PS n’a pas eu de position ambiguë envers le Front national, ce qui n’est pas le cas de la droite en Haute-Garonne. Elle a adopté le « ni-ni » de Sarkozy et n’a pas appelé à battre le FN dans des cantons où nous étions face à eux au second tour. La montée de ce parti est inquiétante et nous devons nous interroger collectivement pour trouver des solutions. On ne peut pas dire que la gauche profite de ce phénomène. On est en première ligne pour le combattre. Ce n’est pas nous qui avons créé le ministère de l’identité nationale…
3 questions à Jean-Claude Pellegrino
Délégué départemental d’Alliance Centriste (UDI)
Comment interprétez-vous les résultats de ce scrutin ?
Pour tout vous avouer je n’ai pas vraiment été surpris, car j’avais constaté que sur le premier tour le FN avait su capter une partie de l’électorat de la droite classique. J’ai observé cette montée du FN depuis plusieurs années, sans d’ailleurs que le PS haut-garonnais fasse quoique ce soit pour la contrer. Par ailleurs, je note que le côté social et l’abandon des territoires ruraux ont considérablement pesé sur le scrutin. Il y a ici une véritable culture départementaliste que nous avons peut-être sous-estimée.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’ « effet Moudenc » ?
Je ne crois absolument pas à un vote de protestation à destination du Capitole ou du maire. Je pense même que si ce scrutin avait lieu dans quelques mois, le résultat serait tout autre. En effet nous avons connu une problématique de communication car les maires de quartiers qui étaient candidats n’ont pas encore eu le temps de promouvoir et d’expliquer leur action … Cela fait moins d’un an qu’ils sont en place, mais leur travail est réel et de qualité. Il faut maintenant le faire savoir.
Etes-vous optimiste pour l’avenir de votre camp sur ce département ?
Il faut l’être, et rien n’oblige à tout remettre en question même s’il reste toujours des choses à affiner. Nous sommes déjà tournés vers les régionales, avec la volonté d’unir une nouvelle fois les forces de l’UMP et de l’UDI. En revanche, je pense que les personnalités qui s’associeront à la future liste régionale devront s’engager sur leur choix pour la présidentielle …
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