Membre du groupe Archipel Citoyen au Conseil municipal, Aymeric Deheurles est le premier élu de Toulouse à être issu du tirage au sort. Après neuf mois de mandat, il dresse un premier bilan très contrasté de son expérience de la politique locale.
Après avoir été tiré au sort par Archipel Citoyen, vous attendiez-vous à devenir conseiller municipal de Toulouse ?
Non, pas vraiment. J’ai accepté d’entrer dans la démarche d’Archipel Citoyen car je la trouvais très intéressante, mais je n’avais pas tellement envie d’être exposé. Cela s’est joué le jour de l’ordonnancement de la liste. Il a été établi qu’il fallait un tiré au sort en neuvième position. Comme nous ne savions pas trop qui mettre, nous avons effectué un nouveau tirage au sort et j’ai été désigné. J’ai donc été doublement tiré au sort (rires). Il m’a fallu un peu de temps pour me faire à l’idée que je serai, quoi qu’il arrive, en position éligible. Cela m’a beaucoup travaillé, d’autant que je n’avais pas très bien vécu les manœuvres politiciennes qui avaient commencé à voir le jour durant cette journée d’ordonnancement.
Neuf mois après, quel premier bilan faîtes-vous de cette expérience ?
Faire de la politique m’a toujours titillé mais je n’aurais jamais franchi le pas spontanément car je me suis toujours méfié des partis politiques comme de la peste. Pouvoir vivre cela de l’intérieur m’intéresse donc énormément. En revanche, je vois des choses qui m’énervent profondément, comme la division de notre groupe au conseil métropolitain que j’ai très mal digéré. Malheureusement, ce monde est tel qu’on l’imagine. Je m’attendais à vivre ce genre d’événements mais peut-être pas aussi rapidement. A de nombreuses reprises, j’ai failli claquer la porte, mais j’ai l’habitude d’honorer mes engagements. Et, je me dis aussi que cette opportunité ne se représentera pas deux fois. C’est une chance de pouvoir contribuer à faire avancer la ville, même en étant dans la minorité. Les autres tirés au sort qui se trouvaient sur la liste m’ont également convaincu de m’accrocher. J’essaie donc de me concentrer sur le positif.
Comment abordez-vous votre rôle d’élu ?
Par rapport à tous les autres conseillers municipaux, majorité et minorité confondues, je suis sûrement le seul à ne jamais avoir émis le désir d’être élu. Je n’ai aucune ambition personnelle, aucun plan de carrière et il est certain que je ne serai pas candidat à la prochaine élection. Je n’ai donc rien à perdre. Je dispose de six ans pour profiter, découvrir et faire en sorte de donner une utilité à mon mandat. N’étant membre d’aucun parti, je me sens totalement libre de mes engagements. Je représente en quelque sorte les quidams. C’est d’ailleurs pour cela que l’on m’a sollicité. Tant que j’estime que cela va dans le bon sens pour la ville, je suis donc prêt à bosser avec tout le monde. Y compris avec certains élus de la majorité, qui me semblent réellement investis dans leur mission, même si je ne partage pas leurs idées.
En étant élu, issu du tirage au sort, êtes-vous perçu différemment par vos collègues ?
Au début, j’étais peut-être un sujet d’étude un peu curieux pour les conseillers de la majorité. Certains n’avaient pas très bien compris le concept du tirage au sort et étaient très étonnés quand je leur expliquais comment je m’étais retrouvé sur la liste. Au sein de mon groupe, ma position induit un point de vue plus terre à terre, moins politicien. Mon but est de porter des idées, pas de gagner en 2026. Même si je suis clairement de gauche, je suis peut-être le plus à droite de l’équipe (rires). D’ailleurs, quand Jean-Luc Moudenc nous caricature comme un ramassis d’extrême gauche, cela me fait doucement rigoler. Globalement, je pense avoir montré que le tirage au sort pouvait fonctionner. Cela permet de toucher des gens qui n’auraient jamais imaginé faire de la politique. Si je peux au moins servir à cela, ce sera déjà une belle satisfaction.
En tant que novice, quel est votre regard sur le fonctionnement de la démocratie locale ?
Très honnêtement, c’est une horreur absolue. Le conseil municipal est véritablement le théâtre d’un jeu politique lamentable. Chacun joue un rôle, une partition. Les débats sont en permanence parasités par des intérêts politiques. Pendant le temps des propos liminaires notamment, on s’envoie des piques en espérant que cela soit repris dans la presse… C’est très énervant. Je comprends cette mentalité, parce que l’on a aussi besoin de ce relais mais, alors que nous sommes là pour décider de l’avenir de Toulouse, certains pensent plus à se mettre en avant et à bien communiquer. Quand je repense à l’épisode d’octobre dernier, quand la majorité a fait passer le seuil pour former un groupe municipal de deux à quatre membres, en faisant semblant que ce n’était pas prémédité, c’était d’un ridicule incroyable. Et le pire, ce sont les gens comme Sacha Briand qui passent leur temps à envoyer des “scuds” à l’opposition et viennent faire ensuite ami-ami à la pause, comme si de rien n’était. Personnellement, je suis incapable d’avoir un comportement différent en public et en privé.
Arrivez-vous tout de même à trouver votre place dans ce paysage ?
Oui, je suis membre de deux commissions, une à la mairie et une à la métropole. Dans ces réunions les rapports sont plus détendus. Il s’y met en place un vrai travail. Nous disposons de plus de temps et les discussions, dans lesquelles mon avis est pris en compte, sont intéressantes, sans joute politique. En tant qu’élu, je suis également membre du conseil d’administration de Zefil, le réseau fibre optique de la métropole. De par ma profession d’informaticien, là aussi, je sens que mon expérience peut être utile.
Sinon, en conseil municipal, j’essaie de mettre en avant des sujets qui me tiennent à cœur. Ce vendredi 19 mars, je présenterai par exemple mon premier vœu à propos de la précarité menstruelle. C’est une question qui est en ce moment dans l’actualité mais qui m’intéresse depuis plusieurs années. De manière générale, je suis plus sensible aux sujets de société qu’aux dossiers très techniques.
Quelle place prend ce mandat de conseiller municipal dans votre vie ?
Pour assister aux conseils municipaux et aux réunions de commission, je pose des journées ou demi-journées de congés sans solde. Je ne me suis inscrit qu’à deux commissions car j’aime faire les choses consciencieusement. Il m’arrive de me coucher assez tard pour bien étudier les délibérations, prendre des notes, préparer des questions. De fait, les journées sont plus longues, cela chamboule forcément un peu ma vie privée mais ma famille est compréhensive. Je suis très admiratif de l’énergie que dépensent certains collègues, comme Maxime Le Texier, qui s’intéresse à tout, participe à tout, va à la rencontre d’énormément de personnes pour prendre le pouls de la ville. Personnellement, je souhaite remplir au mieux les missions qui me sont confiées sans sacrifier ma vie privée. Cela fait partie des raisons pour lesquelles je ne m’investirai que six ans.
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