[Il mérite la Une] Chercheur archéologue à Toulouse, Alexandre Lefebvre vient de découvrir les plus anciens objets fabriqués en os de baleine dans la péninsule ibérique. Portrait d’un jeune scientifique qui garde les pieds sur terre.
Tout le monde n’a pas l’occasion dans sa vie de faire avancer l’état des connaissances de l’humanité. C’est ce qui vient d’arriver à Alexandre Lefebvre, chercheur en archéologie préhistorique associé au laboratoire Traces à Toulouse. Avec son équipe, il a découvert les plus anciens objets fabriqués en os de baleine dans la péninsule ibérique, qui remontent à -18 000 ans. De quoi confirmer l’existence de vastes réseaux de communication structurés autour du golfe de Gascogne à la fin de la dernière glaciation. « Nous avons étudié des collections déjà existantes, analysé les données, puis rédigé un article à huit mains », résume Alexandre Lefebvre, en toute modestie.
Ce qu’il préfère, c’est bien sûr le terrain. Coresponsable depuis 2019 de la fouille du site de la Peyzie en Dordogne, il s’y sent comme chez lui. Et pour cause, il a grandi dans ce département qui regorge de merveilles archéologiques. C’est à 18 ans, dans la Vallée de la Vézères que le déclic a eu lieu. « Avec un ami, nous nous rendions chaque week-end sur des sites, où j’ai pu rencontrer des archéologues qui m’ont fait découvrir ce métier, à la croisée de nombreuses disciplines. J’ai su que c’est cela que je voulais faire », se souvient-il. L’histoire des Hommes, leurs rapports à leur environnement, la géologie de leur lieu de vie… à portée de main. Aujourd’hui, le Périgourdin télétravaille depuis son domicile, justement à Périgueux.
Alors que la situation sanitaire ne lui permet pas de se rendre facilement sur des terrains de fouille, la vie professionnelle d’Alexandre Lefebvre, qui ne compte pas ses heures, se partage entre la rédaction d’articles scientifiques – un seul peut lui prendre plusieurs mois – et celle de projets. « Si j’en monte sans cesse de nouveaux, c’est pour subvenir à mes besoins. N’étant pas encore titulaire, je ne perçois aucun salaire ». Post-doctorant depuis 2017, il attend que le CNRS lui confie un poste de chercheur. « Ce qui peut prendre une demi-douzaine d’années ! » précise-t-il. Et de déplorer « un système en crise », qui ne fonctionne que par appels à projet et privilégie les grands laboratoires.
À 38 ans, l’homme est jeune dans le métier. Mais il a 5 ans de plus que la plupart de ses collègues de thèse. 5 ans de parenthèse dans son cursus, « un trou dans le parcours » durant lequel il s’est lancé dans une carrière musicale. « À ma Licence, j’ai arrêté les études. Je voulais vivre de la musique et devenir une star ! » Avec son groupe de rock indépendant il a ainsi écumé toutes les salles de concert toulousaines. Un vieux souvenir. « Aujourd’hui je n’ai plus le temps de jouer. Et j’ai fondé une famille », précise-t-il. Alexandre Lefebvre est marié et père de deux enfants, à qui il transmet sa passion des vieux os.
« Ma femme a vite compris que je ne serai pas Indiana Jones », s’amuse-t-il. Et lorsqu’il est en famille, Alexandre Lefebvre parvient sans mal à déconnecter de son travail. « Je ne passe pas mon temps à regarder par terre, comme beaucoup de mes collègues ! » Toutefois, très fréquemment, ses proches le ramènent à son statut d’archéologue. « On me demande mon avis sur la moindre découverte, même si elle concernent une pyramide d’Égypte ! Les gens aiment ce métier, il a une image très positive », se réjouit-il. Son Graal serait à présent de mettre à jour « un site d’habitation magdalénien majeur, avec beaucoup d’industrie osseuse et des sépultures. Ce n’est peut-être pas un rêve fou, démesuré. Mais dans cette profession, il y a tellement d’échecs pour si peu de réussites. »
Commentaires