Il est des professions plus difficiles à assumer que d’autres. Certaines sont socialement mal acceptées, d’autres simplement inenvisageables pour la plupart d’entre nous. Contrôleur des impôts, thanatopracteur, huissier, égoutier… Jérémy Mayor, lui, est fossoyeur dans le Gers. Un métier qu’il exerce avec empathie et détachement à la fois. Portrait.
“C’est dégueu ! Mais il faut bien que quelqu’un le fasse !” Cette réaction, Jérémy Mayor l’entend souvent quand il révèle sa profession. Et pour cause, ce Gersois de 32 ans est fossoyeur. C’est lui qui, avant les cérémonies d’enterrements, creuse et referme les trous, et ouvre les plaques tombales où seront déposés les cercueils des défunts. C’est aussi lui qui réorganise les cercueils à l’intérieur des caveaux familiaux quand un nouveau doit y être ajouté. Il lui arrive également de réaliser des exhumations ou des réductions de corps. “Il s’agit là de ramasser les restes d’une personne décédée pour les regrouper dans une boîte, qui elle-même est déposée dans un autre cercueil”, explique-t-il. Une pratique commune lorsque la place est limitée dans un caveau.
“Je participe au bon déroulement d’un deuil”
Des tâches pas toujours ragoutantes qui en rebuteraient plus d’un, mais qui sont le quotidien de Jérémy Mayor. Lui, appréhende sa profession dans sa globalité: “Je participe au bon déroulement d’un deuil. Si mon travail est bien fait, une famille venant de perdre un proche pourra le pleurer sans être perturbée.” Car, dans ces circonstances, un simple détail peut marquer. “Cinq ans après l’inhumation d’un parent, une dame me parlait encore de la pelle mécanique restée visible lors de la cérémonie”, se souvient-il. Ainsi, l’intervention du fossoyeur ne se résume pas à l’ouverture d’une tombe, mais plutôt à la préparation d’un enterrement afin qu’il se déroule dans les meilleures conditions.
Ce qui n’est d’ailleurs pas toujours évident. Voire parfois dangereux. Quand il pleut, quand la terre est meuble, “il existe des risques d’éboulement”, témoigne Jérémy Mayor. En effet, même si l’utilisation des pelleteuses est désormais de rigueur, l’accès aux emplacements funéraires leur est souvent impossible. Seuls les cimetières récents permettent au Gersois de travailler plus facilement. Mais dans 30% des cas, il doit creuser à la pelle. C’est là que le travail est périlleux car le jeune homme doit excaver des tonnes de terre à presque deux mètres de profondeur.
Un danger également présent lorsqu’il pénètre dans les caveaux : “Il arrive que pour accueillir un nouveau cercueil, il faille y faire de la place”, précise-t-il. Alors, le fossoyeur doit déplacer ceux déjà sur place, et les réagencer de manière différente. Mais la manœuvre est délicate dans un lieu exiguë où il agit seul. “Les cercueils sont lourds. Un jour, l’un d’eux m’a échappé et m’est tombé dessus. Heureusement, rien de grave, mais cela aurait pu l’être” se souvient-il. Mais quoi qu’il advienne, le travail doit être fait, car un enterrement ne peut être déplacé : “Qu’il neige, qu’il pleuve ou que je sois pas dans mon assiette, le trou doit être creusé. Et il doit être rebouché”, explique Jérémy Mayor, froidement.
Un raisonnement détaché, qu’il s’efforce de garder. Dans cette profession, la distance avec le contexte a son importance. Car si le fossoyeur travaille au milieu des défunts toute la journée, c’est au contact de leurs proches dans la peine qu’il évolue. “Certains me touchent particulièrement”, avoue-t-il, “notamment pendant le premier confinement dû à la pandémie de Covid-19. Durant cette période, seules trois personnes avaient le droit d’assister à un enterrement. Il n’y avait pas de cérémonie, personne pour réconforter. Les personnes endeuillées étaient réellement seules et en totale détresse. J’ai trouvé ça totalement immoral!”
“Je suis souvent ému lorsqu’il s’agit d’un enfant ou d’un jeune”
En effet, si le jeune homme intervient essentiellement avant et après les funérailles, il n’est jamais bien loin durant la mise en terre. Discret, généralement à l’écart, il observe : “Et, finalement, je m’aperçois que c’est l’émotion qui se dégage du recueillement qui me touche. Je suis souvent ému lorsqu’il s’agit d’un enfant ou d’un jeune.” N’ayant pas d’informations supplémentaires sur le défunt, cela lui permet de garder une distance naturelle, tout en restant dans l’empathie. “Je fais mon métier avec le cœur, mais je me protège aussi”, affirme-t-il.
Pour cela, le fossoyeur a trouvé son exutoire : l’activité physique. Moto, randonnée, escalade… Tout est bon pour se vider la tête. Y compris les sorties entre amis. “Je suis plutôt bon vivant !” concède-t-il. Un trait de caractère qui semble essentiel dans le métier: “Moi qui ne vois que des gens pleurer, j’ai besoin de m’amuser, de m’aérer l’esprit, de rire avec les autres…” Un joyeux luron donc… mais qui peut facilement casser l’ambiance ! Surtout quand un convive lui demande ce qu’il fait dans la vie.
“Je réponds généralement sans gêne mais je ne m’étale pas sur le sujet. Je sais par expérience qu’aborder le thème de la mort en soirée est rarement la meilleure idée pour amuser la galerie”, convient Jérémy Mayor, en riant. En effet, les conversations versent souvent dans la curiosité mal saine ou l’évocation de cas personnels. Certains ne se doutent même pas que la profession existe encore. En revanche, il est friand de conversations constructives, “celles qui me permettent de m’améliorer en fonction du ressenti des personnes ayant assisté à un enterrement pour lequel je suis intervenu”, précise-t-il.
Consciencieux et besogneux, il affirme prendre plaisir à rendre le départ d’une personne le moins douloureux possible. “Je ne subis pas mon métier et je l’assume totalement. Aujourd’hui, je ne me verrais pas faire autre chose”, avance-t-il. D’autant que Jérémy Mayor cumule maintenant presque 10 ans d’expérience. Une décennie à sillonner le Gers et le Tarn-et-Garonne, de cimetière en cimetière. Originaire de Lectoure, dont il ne s’est jamais vraiment éloigné, il connaît donc son département sur le bout des doigts. “Un des avantages du métier”, se réjouit-il.
Mais c’est avant tout la liberté de mouvements, d’organisation et de travail qui l’ont séduit. Installé en autoentrepreneur depuis 5 ans, il cultive ce privilège, qu’il s’est bâti, seul… ou presque. Le jeune homme sait qu’il doit beaucoup à son oncle: “J’ai perdu ma mère très jeune, et cela a été très dur. Je me suis retrouvé dans un foyer et j’ai quitté l’école en cinquième, pour m’orienter vers une formation dans les espaces verts”, raconte Jérémy Mayor. “C’est à ce moment-là que mon oncle m’a pris sous son aile”, poursuit-il. Ce dernier, fossoyeur de son État, lui dévoile les ficelles du métier, et suscite, sans trop y prêter attention, l’intérêt de ce garçon alors âgé de 14 ans.
Jusqu’au jour où une agence de pompes funèbres le contacte pour devenir son fossoyeur attitré. “Je soupçonne fortement mon oncle d’avoir glissé mon nom dans l’oreille du patron!” sourit-il. Mais ce coup de pouce allait changer le cours de sa vie.
Vie qu’il ne pense “pas passer à creuser des trous”. “C’est très physique”, précise-t-il, “il faut environ quatre heures pour en faire un, et environ deux jours pour s’en remettre!” Lucide, il sait qu’il ne pourra pas être fossoyeur jusqu’à sa retraite. Il pense donc se réorienter, tout en restant dans le milieu des pompes funèbres. “Peut-être dans le transport de corps”, se projette-t-il. Mais, une chose est sûre, il côtoiera la mort toute sa carrière. Une situation dont il s’amuse: “Au moins, je sais comment tout ça finira!”
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