Emmanuelle Rey est infirmière de bloc à Toulouse. Un milieu strict et aseptisé qu’elle quitte le week-end pour pénétrer dans celui plus artistique et excentrique du cabaret. Elle troque alors sa blouse blanche contre un costume original… qu’elle ne garde généralement pas longtemps. Car sur scène, elle incarne Gemma Léfik, une effeuilleuse burlesque. Portrait d’une femme accomplie, qui s’épanouit pleinement dans sa passion du spectacle.
La peinture, le dessin, l’écriture, le théâtre, la danse, le chant… Elle a tout essayé. Non pas parce qu’elle papillonne, mais à l’inverse, parce qu’elle s’intéresse à tout. Emmanuelle Rey est une artiste complète, qui trouve son équilibre grâce à la scène. Et c’est finalement vers une discipline atypique qu’elle a choisi de se spécialiser : l’effeuillage burlesque. À ne pas confondre avec du strip-tease, elle y tient : « Dans les deux cas, on se déshabille en dansant, mais l’effeuillage ne termine jamais entièrement nu (les tétons et le sexe sont toujours cachés). De plus, il joue sur la sensualité quand le strip-tease garde une connotation sexuelle. » Pour cette Toulousaine, d’origine gersoise, l’effeuillage burlesque est la rencontre parfaite entre sa passion pour les Pin-ups américaines, la mode vintage et le glamour des années 1950, avec son amour du spectacle. Le mélange idéal entre la recherche de liberté et la rigueur du travail artistique. Un aboutissement tant dans sa vie de femme que d’artiste.
Sur scène, Emmanuelle Rey devient Gemma Léfik. Un pseudo qu’elle a choisi dès sa première représentation : « J’avais d’abord pensé à m’appeler Marilyn, mais trop d’artistes portaient déjà ce nom », regrette cette fan absolue de Marylin Monroe, dont elle arbore fièrement le tatouage sur sa cuisse droite. Mais, après réflexion, Gemma Léfik lui confère un espace d’expression beaucoup plus vaste : « Ce jeu de mots me permet d’insérer une pointe de mystère, d’envoûtement et de grivoiserie. » Car Gemma permet à Emmanuelle de se libérer, de s’assumer et d’oser. Certes, la seconde est plutôt extravertie, « on ne peut pas être effeuilleuse si l’on est timide » précise-t-elle, mais la première fait sauter les derniers verrous du regard des autres. Car si Emmanuelle n’est pas pudique, elle fait part d’une certaine pudeur. « Cela me demande plus d’efforts de chanter sur scène en tant qu’Emmanuelle, que de me déshabiller en public, cachée derrière le personnage de Gemma Léfik », explique l’effeuilleuse. Toutefois, pour y parvenir, elle a dû surmonter ses complexes.
Mais avec Gemma, tout devient possible. Grâce à elle, Emmanuelle a fait la paix avec son corps. D’abord parce qu’il a été meurtri, par une agression. « J’ai alors ressenti le besoin de prouver que je ne le montrerai qu’à la seule condition que je le décide », explique-t-elle. Ensuite, parce que son corps lui-même l’a blessée. Apprenant qu’elle ne pourrait pas porter d’enfants, un sentiment de revanche est né en elle : « Si mon corps ne pouvait pas me donner de belles choses, alors je vais en faire moi-même quelque chose de beau ! » Une réappropriation salutaire et un pouvoir de décision dont elle affirme qu’ils lui ont permis de se reconstruire… ou de se construire, tout simplement.
Car, comme Emmanuelle Rey aime à le dire, elle ne serait pas totalement épanouie sans s’adonner à son art de l’effeuillage, qu’elle pratique depuis plus de trois ans. A 45 ans, elle estime être maintenant une femme accomplie, s’être réalisée. Un équilibre physique et psychologique qui lui permet de s’assumer totalement. D’autant qu’elle bénéficie du soutien inconditionnel de son mari, qui est aussi son premier fan. « Il comprend ce que je fais et pourquoi je le fais. Il me donne même son avis lorsque je lui présente mes nouveaux numéros. Il vient souvent voir mes spectacles et sa présence me donne de l’énergie. J’ai envie de le rendre fier », confie-t-elle. Un encouragement capital pour l’artiste, qui avoue avoir souhaité obtenir, en vain, celui de sa mère : « Il est difficile pour elle de savoir sa fille nue, sur scène, à la vue de tous. Je pense qu’elle redoute le regard des autres, de ceux qui interprèteraient mal et détourneraient mes intentions. Je ne lui en veux pas, j’imagine ce qu’elle peut ressentir. »
Sur son lieu de travail, c’est encore différent. Là, elle y fait plutôt profil bas. Car si elle arbore des costumes plus originaux les uns que les autres le week-end, dans la vie, c’est en blouse blanche qu’elle évolue. En effet, Emmanuelle Rey est infirmière de bloc dans une clinique privée de la métropole toulousaine. Dans les couloirs de l’établissement, ses supérieurs hiérarchiques sont au courant de ses “activités parallèles”, même si elle pressent que tous n’ont pas bien saisi le contenu de ses représentations. Certaines de ses collègues également savent ce qu’elle fait de ses week-ends et la suivent sur les réseaux sociaux. Toutefois, elle préfère ne pas trop ébruiter sa passion, « pour ne pas perdre en crédibilité d’abord, et parce qu’elle estime que tous ne le prendraient pas bien ! Ils font encore l’amalgame avec le strip-tease… »
Un préjugé de plus sur la discipline. Alors, Emmanuelle Rey tient à remettre les pendules à l’heure, les points sur les “i” et les “nippies” sur les tétons… « L’effeuillage burlesque est l’art de se dévêtir en musique en racontant une histoire, en portant un message. C’est de l’art, pas de l’exhibition ! » précise la danseuse. Autre nuance à noter : la différence de définition du mot “burlesque” selon les pays. « Aux États-Unis, ce terme fait référence au glamour des années 1950, à l’image de la célèbre Dita Von Teese), tandis qu’en France il qualifie plutôt un spectacle humoristique », commente-t-elle. Alors, pour ne pas être embêtée par de potentielles mauvaises interprétations de son style, Emmanuelle Rey allie les deux. « Et comme je n’ai ni la technique ni le physique des effeuilleuses du Moulin Rouge, je pallie avec l’humour », sourit-elle. Un choix artistique qu’elle assume. Qu’elle défend même. Cependant, elle ne souhaite pas être réduite à une figure de clown, qu’elle prend pourtant volontiers.
Certains de ses numéros, comme celui du Viking qui évoque la fin du patriarcat et la prise du pouvoir par les femmes, « sont sérieux », commente-t-elle. Quand d’autres se situent plus franchement dans la légèreté, voire la provocation… Ce samedi 28 janvier, par exemple, elle se rendra à Rome (Italie) pour se produire lors du “That’s Amore Burlesque Festival“. Elle y présentera “Sœur Gemma”, une nonne éprise de liberté qui s’émancipe du carcan religieux. À deux pas du Vatican, « j’avoue ! C’est gonflé ! » Pour Emmanuelle Rey, croyante, mais non pratiquante, c’est là l’occasion de « faire un pied de nez aux conventions ». Et surtout de se faire remarquer, de tisser un réseau dans l’univers du burlesque.
Car si elle ne vit pas encore de sa passion, faire de l’effeuillage burlesque sa principale activité reste un objectif. D’ailleurs, à partir du mois de février, elle commencera à donner des cours au Studio “When I pole” à Donneville. Tout en continuant à se produire avec sa troupe “Les Résilles” à la Comédie de la Roseraie ou au cabaret Le Kalinka.
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