Troisième ligne de métro, terrasses, piétonnisation et tour Occitanie, Richard Mébaoudj est un militant associatif présent sur tous les fronts de l’urbanisme toulousain. Peu connu du grand public, c’est pourtant une figure omniprésente de la vie politique locale.
« Je me définis comme un petit retraité, célibataire et post-soixante-huitard », se présente Richard Mébaoudj. Personnalité peu connue du grand public, le nom de cet infatigable militant associatif est pourtant familier des journalistes et personnalités politiques locales. En effet, à 69 ans, cet ancien employé de commerce s’est bâti une solide réputation d’empêcheur de bétonniser en rond, à force de mails contestataires ou d’interventions lors de réunions de concertation avec les pouvoirs publics, sur les grands projets toulousains. Des combats qu’il mène au sein des trois associations ou collectifs (60 millions de piétons 31, Non au gratte ciel et Infos actions troisième ligne) dont il est cofondateur et membre actif .
« Je suis un petit retraité, célibataire et post-soixante-huitard »
Critique pointilleux du développement anarchique de la circulation des vélos, opposant farouche à la tour Occitanie et lanceur d’alerte sur le surdimensionnement de la troisième ligne de métro, son engagement sur plusieurs fronts lui vaut d’être parfois taxé « d’aigri » ou « d’anti-tout ». Des critiques qui ne le surprennent pas mais qu’il juge réductrices et loin de correspondre à l’homme qu’il est dans la vie privée. « J’aime la nature et les gens. Et, surtout, je ne suis pas opposé à tout. Par exemple, même si tout n’est pas parfait, j’approuve la rénovation de la gare et la création du parvis », se défend Richard Mébaoudj qui s’avère plus enclin à défendre ses convictions qu’à se raconter.
Pourtant, si l’on s’écarte un instant des questions de déclaration d’utilité publique ou de financement des grands travaux, l’homme réserve quelques surprises. Élevé dans une modeste famille lyonnaise, le jeune Mébaoudj, qui ne s’appelle pas encore Richard mais Rachid (il changera de prénom bien plus tard), est façonné par un héritage qui favorise l’éveil et l’enracinement d’une conscience politique aiguë. « Mes parents gardaient les chèvres des deux côtés de la Méditerranée. Ma mère parce qu’elle avait été placée chez des paysans ardéchois et mon père parce qu’il était issu d’une famille de paysans algériens. D’ailleurs, après avoir fui un mariage arrangé, il a lutté pour l’indépendance de son pays. Enfant j’ai vécu des perquisitions à notre domicile », dévoile Richard Mebaoudj dont la grand-mère maternelle, pour compléter le portrait de famille, était sensible à la cause anarchiste.
« Mes parents gardaient les chèvres des deux côtés de la méditerranée »
À 15 ans, l’adolescent lit régulièrement Le Monde et suit, sans y prendre réellement part, les événements de mai 68. « J’étais jeune et, même s’il m’ont marqué, j’ai vécu les événements sans trop les comprendre », confesse-t-il. Mais, flirtant avec le mouvement hippie, le jeune homme vit pleinement les années suivantes où soufflait, partout autour du globe, un vent de révolution. « Une grande partie de la société manifestait, avec beaucoup d’optimisme, une envie de changement. Ça bougeait dans toutes les classes d’âge et de population. Chez les intellectuels, les syndicalistes, les mères de famille », se souvient Richard Mébaoudj. Une soif de liberté qui le poussera vers l’Orient.
À 20 ans, Richard Mébaoudj ressent le besoin de prendre de la distance avec les siens. Il entreprend alors un premier voyage en Inde et, à son retour, s’installe à Paris, en plein âge d’or des squats. « J’ai vécu dans différents squats, certains politiques et d’autres simplement d’habitation. J’ai même animé un squat militant lié au mouvement de libération des homosexuels », ajoute-t-il. Après trois ans de cette vie aventureuse, le jeune militant sent l’appel du Sud. Il pose ses bagages à Marseille et Montpellier, avant de s’installer à Toulouse où il suit un amoureux. « Le coup de foudre avec la Ville rose est immédiat », assure Richard Mebaoudj qui découvre une grande ville à taille humaine « qui mêle modernité et rusticité », vie de village et effervescence. « Une ville branchée et joyeuse, à l’antithèse de ce que veut faire Jean-Luc Moudenc ».
« Mon engagement associatif m’occupe près de 30 heures par semaine.
Pendant 15 ou 20 ans, Richard Mébaoudj mène une vie discrète, éloigné des combats et des grandes causses de sa jeunesse. Il s’intéresse à la politique, lit toujours le journal, mais n’est impliqué dans aucune structure militante. C’est à la retraite qu’il renoue avec son besoin d’engagement, grâce au modeste confort d’une petite pension et le luxe d’un emploi du temps libéré d’obligations. « Aujourd’hui, cela m’occupe près de 30 heures par semaine. Le temps de lire les dossiers et de participer aux diverses assemblées. Le reste de mes journées, je bouquine, je me promène ou je regarde des films. Dès que j’en ai l’occasion, je m’échappe pour aller marcher 15 ou 20 kilomètres dans la campagne », dévoile-t-il.
C’est en 2015, après le « traumatisme » des attentats de Charlie Hebdo que le nouveau retraité, lecteur régulier de l’hebdomadaire satirique, décide de changer de prénom. « Je l’ai fait parce que j’étais effrayé par la dimension terrible du djihadisme et de l’islamisme, alors que j’aime beaucoup mon prénom qui veut dire ”droit” en Arabe. Malgré le fait qu’il n’y ait pas de terroristes connus portant mon nom, je ressentais un poids trop lourd à porter. J’ai fais le pas quand la coupe a été pleine après les attentats mais il y avait aussi des enjeux personnels. C’était aussi une manière de me rapprocher de la branche maternelle de ma famille », explique Richard Mébaoudj qui, peu après, entreprend les démarches administratives.
« j’étais effrayé par la dimension terrible du djihadisme et de l’islamisme »
Ne souhaitant pas tourner le dos radicalement à ses origines, Richard choisi un prénom de substitution qui est, à une lettre près, un anagramme de celui donné par ses parents. « Pour moi, c’est une démarche personnelle et intime, très éloignée de l’injonction d’Eric Zemmour à changer de prénom. J’ai été effaré par cette polémique. Que l’on veuille imposer cela au nom de l’intégration me paraît ridicule et cela m’effraie autant que les extrémismes religieux en tous genres », précise-t-il.
Et, même s’il livre un constat teinté de pessimisme sur l’évolution de la société et de la politique, Richard Mébaoudj ne s’abandonne pas au défaitisme. « Le monde traverse une période délicate et pas seulement à cause du Covid. L’époque est moins optimiste que dans ma jeunesse, avec la multiplication des crises et le réchauffement climatique. Si j’avais 30 ans de moins, peut-être que je m’engagerais en politique. Mais, aujourd’hui, je préfère me concentrer sur mon engagement associatif », assure Richard Mébaoudj qui est convaincu de l’importance et de la légitimité de ce combat.
« Certaines associations ont plus d’adhérents que les partis politiques »
« C’est complémentaire au débat politique. Certaines associations qui défendent les droits des citoyens ont d’ailleurs plus d’adhérents que les partis. D’autant plus que la légitimité des dirigeants politiques est affaiblie par l’abstention croissante », revendique-t-il avant de rappeler l’un des temps forts de l’histoire des mobilisations de la Ville rose.
« Dans les années 1970, c’est un collectif qui a sauvé la Garonne du projet absurde d’autoroute sur berges envisagé par la municipalité. Aujourd’hui, les bords de Garonne font la quintessence de la Ville rose, au point qu’on y construit des logements de luxe. Jean-Luc Moudenc pourrait même remercier le collectif qui s’est battu, à cette époque, contre un projet de bétonnisation déraisonnable », souligne Richard Mébaoudj. Une allusion transparente au projet de la tour Occitanie, dont la justice doit examiner prochainement un recours en annulation du permis de construire.
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