Des médecins-chercheurs du CHU de Toulouse ont mené une étude sur les effets, à long terme, du confinement sur la santé mentale et physique. 534 Haut-Garonnais, âgés de 50 à 89 ans, ont été observés pendant un an, à l’issue de cet isolement contraint. Le professeur Jean Ferrières, cardiologue et auteur principal de l’étude révèle un lien entre le confinement et l’augmentation des risques cardiovasculaires.
Professeur Jean Ferrières, vous venez de publier une étude inédite dans la revue scientifique ‘’International Journal of Environmental Research and Public Health’’ sur les effets à long terme du confinement. Quelle en a été la motivation ?
Je travaille depuis une trentaine d’années sur les facteurs de risque d’infarctus du myocarde. Certains sont très connus comme le tabac, le cholestérol, la tension, le diabète… Et d’autres beaucoup moins. Ce sont ces déterminants que nous étudions. Quand le confinement a été décrété, mon équipe et moi, y avons vu une bonne situation expérimentale.
De plus, nous avons constaté un changement dans nos services dès la mise en place du confinement : les victimes d’infarctus n’arrivaient plus jusqu’à nous, parce qu’ils décédaient chez eux. Ou ils arrivaient avec 12 heures de retard. En sachant que toute heure perdue pour diagnostiquer un infarctus du myocarde a un impact considérable sur le patient.
C’est pour cela que nous avons décidé d’observer, post-confinement, les conséquences de cet isolement contraint sur un an. Cela nous permettrait de savoir si cette situation pouvait engendrer des risques à long terme.
Dans cette étude, vous avez d’abord observé les conséquences psychologiques du confinement. Quelles sont-elles ?
En tant que spécialiste de l’infarctus, je me suis intéressé aux symptômes psychologiques parce que nous savons depuis longtemps que l’anxiété et la dépression sont deux facteurs de risques majeurs. De plus, maintenir les gens à l’isolement ne pouvait pas, objectivement, être sain. Cette situation allait forcément générer des troubles psychologiques.
Sur les 534 sujets de notre échantillon, 35 % présentaient des signes sérieux de dépression et 35 % d’anxiété. Ce résultat nous a surpris par son ampleur. Ces troubles sous-jacents induisent une modification des comportements comme le tabagisme (9 % des personnes observées ont augmenté leur consommation), l’absence d’exercice physique (dans 65 % des cas), le déséquilibre de l’alimentation (61%), la prise poids (3 kilos en moyenne). Ainsi, l’état psychologique a un impact sur les risques cardiovasculaires.
« Les dommages collatéraux de la Covid-19 sont importants »
Il s’agit-là de liens indirects de l’état psychologique sur les risques cardiovasculaires. Existe-t-il un lien direct ?
Quand on se trouve face à un obstacle, qu’il soit psychologique, sentimental, professionnel…, on sécrète plus d’adrénaline et de noradrénaline, qui sont les hormones du stress. Parallèlement, la fréquence cardiaque et la pression artérielle augmentent, le niveau de ‘’bon cholestérol’’ diminue. Ce qui conduit à un encrassement des artères. Quant aux dépressions, elles sont l’élément précipitant vers l’infarctus du myocarde.
Il existe même des infarctus uniquement provoqués par une forte émotion. Il s’agit du syndrome de Takotsubo. C’est extrêmement rare, mais cela atteste du lien entre l’état psychologique et les risques cardiaques.
Un lien qui a été concrètement observé sur vos patients ?
Tout à fait. Nombreux sont les patients, hospitalisés en soins intensifs suite à un accident cardiovasculaire, qui nous confient se sentir mal depuis longtemps, et qui ont amassé les difficultés comme un licenciement, un divorce… Jusqu’à l’infarctus. Un trop-plein de stress et d’émotions. En quelque sorte, il s’agit d’un surrégime. Sans parler des patients cardiaques qui, déprimés ou anxieux, ne prenaient plus leur traitement correctement, ne se rendaient plus aux consultations de suivi.
Et si l’on parvient à faire le lien entre les troubles psychologiques survenus lors du confinement et les risques cardiovasculaires, nous ne nous expliquons pas la persistance des troubles une fois cette période terminée. L’une des raisons possibles étant que nombre sont ceux qui ont gardé les mauvaises habitudes prises lors de cet isolement. Ils ont continué à fumer autant, à consommer de l’alcool, à passer trop de temps devant les écrans, à ne pas faire d’exercices physiques et à négliger leur alimentation. Ainsi, les dommages collatéraux de la Covid-19 sont importants. La vie des gens a été modifiée. Des effets maléfiques y ont été imprimés. Comme on dit dans la région : le pli a été pris !
Vous faites état d’une augmentation des risques cardiovasculaires, mais sait-on si le nombre d’infarctus a augmenté ?
N’ayant pas accès aux données de la Sécurité sociale (protection des données personnelles, NDLR), nous nous basons sur le registre d’État, financé par Santé publique France, qui recense les infarctus en Haute-Garonne depuis 1984. Malheureusement, pour disposer des chiffres de l’année 2021, et avoir une réponse, il faudra encore attendre car répertorier et surtout identifier les causes certaines d’un décès peut prendre du temps. Mais, dans les pays où les données sont accessibles en direct comme la Suède ou l’Angleterre, il a été observé une augmentation très significative des décès par infarctus.
« Le confinement : plus jamais ça ! »
Peut-on alors clairement avancer que le confinement est responsable de l’augmentation des risques d’accidents cardiovasculaires ?
Tout à fait ! Ce sera d’autant plus pertinent quand nous pourrons comparer nos résultats avec des pays où il n’y a pas eu de confinement comme l’Angleterre ou les États-Unis. Est-ce que ces derniers ont enregistré une moindre dégradation des risques cardiovasculaires ?
Le lieu et les conditions de confinement ont-ils eu une influence sur les risques cardio-vasculaires ?
Les sujets ayant été confinés en appartement, sans balcon ni terrasse, ont été plus exposés à ces risques de tension, de mal nutrition, de prise de poids… Mais, à notre grande surprise, ceux ayant subi cet isolement en milieu rural ont développé, plus que les autres, de l’anxiété et de la dépression. À leurs dires, cela était dû à la vexation de ne pouvoir profiter de leur environnement. De même, ils ont totalement rompu leurs relations sociales, quand, en ville, elles perduraient, même si elles étaient fortement réduites.
« Cet isolement aura fait plus de mal que de bien ! »
Suite à votre étude, peut-on identifier un profil type d’une personne dont les risques cardiovasculaires ont augmenté après le confinement ?
Il est difficile de généraliser, mais selon nos observations un profil se détache effectivement. Il s’agirait d’une femme, plus exposée aux charges multiples du foyer, seule et ayant des enfants. Cette mère de famille est d’autant plus à risque si elle télétravaille. Et si elle s’est totalement isolée et a coupé ses relations sociales par peur de la contamination.
Comment pourrait-on résumer la situation ?
De manière simple : le confinement a engendré un changement dans nos habitudes et notre manière de vivre. Ces dernières ont provoqué un état de détresse psychologique, qui lui-même a généré des comportements à risque pour la santé cardiovasculaire. Il s’agit d’une chaîne de causalité.
Quel serait l’enseignement à retenir de vos observations ?
S’il fallait ne retenir qu’une chose, ce serait : le confinement : plus jamais ça ! Il ne faudrait pas réitérer la même erreur car enfermer les gens, aussi strictement, aura sûrement été plus néfaste que de les laisser marcher, prendre l’air, être épanouis. Être heureux aurait peut-être eu un effet plus protecteur vis-à-vis de la Covid-19. Cet isolement aura fait plus de mal que de bien !
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