THÉRAPIE – À Toulouse, l’Association vivre autrement ses violences (AVAC) accompagne depuis plus de 20 ans des hommes auteurs de violences. À travers des groupes de parole ou des prises en charge individuelles, elle leur fait prendre conscience de la possibilité de s’exprimer par des mots plutôt que par des gestes.
« Ce sont des moments qui ne me quittent plus. Je ne dis pas ça pour me plaindre, mais je revois la terreur dans son regard ». Bruno, 53 ans, déroule son histoire la voix nouée. S’il accepte aujourd’hui de raconter à visage découvert son passé d’auteur de violences, c’est parce qu’il estime que les hommes doivent, comme lui, être « aidés » et pas uniquement « punis ».
Ses premiers épisodes de brutalité remontent aux années 1990. « Cela faisait six mois que j’étais avec ma compagne. Parfois, on se disputait, je me sentais dépossédé de ma parole. Un jour, une gifle est partie. Ça m’a écroulé. » Bruno vit ensuite d’autres liaisons, « sans se questionner sur son problème », dit-il. Sa dernière concubine lui signifie qu’il est absent de leur relation. La spirale se remet alors en route. « J’ai eu peur de la perdre, je suis parti en vrille. J’ai mis une première claque et j’ai perdu la raison. Je l’ai menacée avec un tesson de bouteille avant de le retourner contre moi. Quand j’ai vu la terreur dans son regard, je me suis arrêté. » Durant cette période, Bruno est suivi individuellement par un psychologue. « Je n’ai jamais nié ce que j’ai fait. Mais, j’avais l’impression de ne pas avancer. Les mots ne sortaient pas ».
Alors qu’il est condamné pour une affaire d’agression sexuelle, le service pénitentiaire d’insertion et de probation lui parle de l’Association vivre autrement ses conflits (AVAC). Il en pousse la porte en 2014.
Cette structure, créée il y a plus de 20 ans, est la seule de la région Occitanie à proposer, en parallèle d’une aide aux victimes, un suivi psychologique aux auteurs de violences au sein du couple ou de la famille. Sur la devanture de l’immeuble qui abrite les locaux, seule une petite plaque indique le siège de l’association. Il faut ensuite traverser une cour à l’abri des regards. « La discrétion est une condition pour que certains osent venir », glisse Marie-Jacques Bidan, psychologue clinicienne et responsable de projet à l’AVAC.
350 personnes en moyenne sont suivies chaque année. Un tiers viennent de leur propre chef. Les deux autres tiers sont orientés par la justice, sur simple conseil, dans le cadre de peines alternatives à la prison ou d’obligation de soin. Selon les profils, différents accompagnements sont proposés : individuels, en couple, ou via un groupe de paroles.
Pour les 25 professionnels de la structure, en majorité bénévoles, des psychologues et psychothérapeutes spécialistes, des sociologues, des écoutants, « il ne s’agit pas d’avoir de la compassion, de faire de la morale ou de l’éducatif », précise d’emblée Marie-Jacques Bidan. « Nous les considérons juste comme des personnes respectables. Quand ils comprennent qu’on ne les juge pas, cela leur permet de sortir d’un éventuel déni et de redevenir sujets de leur thérapie ».
Chaque semaine, une dizaine d’auteurs de violences se retrouvent ainsi en groupe de parole. Accompagnés par un psychologue et un sociologue, les langues se délient. « On s’aperçoit déjà que l’on n’est pas seul, on se confronte au parcours des autres », glisse Bruno.
« En général, au début, ils expriment un sentiment de honte », explique Marie-Jacques Bidan. « Puis, au fur et à mesure des séances, ils découvrent leur sensibilité. Ils plongent dans leur histoire pour identifier leur propre souffrance. Et peuvent ensuite prendre conscience de celle de leur victime ».
Le travail passe aussi par une déconstruction d’une certaine notion de la masculinité et de la virilité. « Bien souvent, nous entendons qu’être un homme, c’est être un dur. Qu‘il ne faut pas pleurer ou dévoiler ses sentiments », souligne la thérapeute. Sur cette construction sociale viennent se greffer « des fragilités personnelles, une angoisse d’être abandonné ou rejeté qui vont les conduire à s’exprimer par des gestes plutôt que par des mots ».
De fil en aiguille, les participants apprennent à développer des stratégies pour contenir leur impulsivité. « Maintenant, quand je sens la colère monter en moi, je sors de la maison », témoigne Guillaume, qui suit les groupes de parole depuis quatre ans pour des violences commises sur un de ses fils. « J’ai réussi à verbaliser mes émotions. À la fin des week-ends passés avec mes enfants, je leur dis par exemple ce qui m’a mis en colère. Récemment, ils m’ont dit, “Papa tu as changé” », glisse-t-il au bord des larmes. Bruno est « parvenu à parler et à identifier les conditions dans lesquelles surgit la violence ». Depuis septembre, il a cessé les groupes de parole. Parce qu’il veut aussi « être autre chose », dit-il.
Si Marie-Jacques Bidan ne se hasarde pas à délivrer un bilan de ces accompagnements, Alain Legrand, président de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV), est persuadé de leur utilité. Selon lui, ces méthodes permettraient de « diminuer de plus de moitié la récidive ».
Dossier ” Faire corps contre les violences conjugales ” :
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