Suite à l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, les messages haineux se multiplient sur Internet. Un phénomène que la société toulousaine Atchik, spécialisée dans la modération de contenus en ligne, observe après chaque attentat. Steve Bonet, directeur de la communication et du marketing, détaille et analyse ce qui se passe, depuis quelques jours, sur la Toile.
Steve Bonet, votre entreprise Atchik réalise la modération des sites de plusieurs médias locaux et nationaux mais aussi de grandes entités comme la ville de Paris, L’Oréal, Orange, l’Assurance maladie et même l’Élysée. Vous disposez ainsi d’une vision panoramique de ce qui se passe sur Internet. Avez-vous remarqué une augmentation des messages haineux depuis l’assassinat de Samuel Paty ?
Depuis une semaine, nous observons une recrudescence de la haine en ligne. C’est un véritable déchaînement. Cela ne signifie pas que les internautes haineux sont plus nombreux, mais qu’ils sont davantage actifs. Tous les groupuscules extrémistes, les identitaires, l’extrême droite et les religieux radicaux, ont renforcé leur présence sur Internet et leur parole trouve ainsi davantage d’écho.
Plus précisément, le nombre total des commentaires en ligne a triplé depuis l’assassinat de Samuel Paty. Les chiffres atteignent ceux des semaines qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo. Quant aux messages haineux, ils ont été multipliés par six ou sept. D’ordinaire, ces derniers représentent 10 % de la totalité des posts. Ils s’élèvent aujourd’hui à 30 %.
Ces commentaires haineux sont-ils concentrés sur les réseaux sociaux ou concernent-ils plus généralement toute la Toile ?
Ces messages ont augmenté, tant sur les réseaux sociaux que sur les sites Internet. Il existe des groupes de pression qui utilisent, sur commande ou spontanément, ce type de posts pour influencer les populations et faire croire que leurs réactions sont celles de l’opinion populaire. Ce phénomène est notamment récurrent sur les sites des grands médias comme RTL, Le Monde, Le Parisien, ou des plateformes comme Yahoo, mais aussi sur leur page Facebook.
Leur méthode est d’insinuer dans l’esprit des gens que, dans un fait divers par exemple, les auteurs de méfaits sont forcément d’origine étrangère ou de telle ou telle confession. Et que si l’information n’est pas clairement divulguée par le média, cela signifie qu’elle est volontairement cachée. Une théorie complotiste qui se développe de plus en plus.
« La récupération politique ou idéologique est quasi immédiate »
Ce déchaînement de haine sur Internet est-il observé au lendemain de chaque attentat ?
En politique, l’union nationale dure de moins en moins longtemps : deux semaines pour Charlie Hebdo, une semaine pour les attentats du Bataclan le 13 novembre 2015, quelques jours pour l’attaque à Nice, pour arriver à deux ou trois heures aujourd’hui. La récupération est maintenant quasi immédiate.
De la même manière, sur Internet, nous observions d’abord des mouvements spontanés d’internautes qui expriment leur tristesse, leur solidarité et leur soutien aux victimes, puis, dans un second temps, les messages extrémistes qui arrivaient deux semaines après un événement. Ces derniers ne se trouvaient pas dans la réaction, ils étaient noyés dans le flux. Désormais, ces commentaires haineux inondent la Toile en même temps que les posts de soutien ou d’indignation. La récupération politique ou idéologique est quasi immédiate.
Quels types de messages haineux retrouve-t-on le plus sur Internet ?
Nous remarquons une multiplication des menaces de mort, mais cela reste quand même globalement rare. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un cautionnement de l’acte, et d’une comparaison des réactions face aux accusations envers la communauté musulmane avec celles qui auraient pu avoir lieu envers la communauté juive. Plus précisément, nous retrouvons dans beaucoup de messages l’hypothèse que tout le monde se serait mobilisé pour soutenir la communauté juive si elle avait été montrée du doigt comme l’est aujourd’hui la communauté musulmane…
Mais, les commentaires les plus nombreux restent islamophobes : « Il faut bouter les musulmans hors de France » ou « éradiquons l’islam ». Ils représentent 70 % des posts haineux.
Que sait-on des auteurs de ces contenus ?
Il y a quelques années, il s’agissait majoritairement de retraités, conservateurs, plus perméables aux discours extrémistes. Mais aujourd’hui, une seconde mouvance identitaire s’est développée : les jeunes, dynamiques et surtout, très actifs sur Internet. Ils en maîtrisent les codes et disposent d’une maturité numérique importante.
« Notre arsenal juridique est suffisant mais encore faut-il avoir les moyens de l’exploiter »
En tant que modérateur de sites Internet, que faites-vous lorsque vous repérez un message haineux ?
Concernant les posts sans grande importance, nous avons la possibilité de refuser de les publier lorsqu’il s’agit de modération d’un site. Sur les réseaux sociaux, nous pouvons les supprimer purement et simplement, ou les masquer pour qu’ils ne soient plus visibles que de leur auteur et de quelques-uns de ses contacts. Si les propos sont récurrents, nous utilisons également le bannissement. Nous y avons recours pour les internautes non pas dangereux, mais pénibles. En revanche, nous pouvons signaler des contenus à la plateforme Pharos lorsqu’un péril est imminent. Il peut s’agir d’un suicidaire voulant passer à l’action, d’un internaute proférant des menaces de mort, ou d’un autre annonçant un prochain attentat.
Et le nombre de commentaires que nous avons dû effacer, masquer ou signaler a augmenté cette semaine. Environ quatre à cinq fois plus que d’habitude, c’est-à-dire quatre ou cinq par jour.
Le renforcement législatif autour d’Internet est en question. Que manque-t-il pour que la lutte contre les contenus haineux soit plus efficace ?
Il faudrait pouvoir engager des poursuites à chaque fois qu’un propos haineux est tenu. Les textes qui régissent la communication et la liberté d’expression comme la loi de 1881 ou la loi Gayssot doivent être respectés. La diffamation, l’injure et les menaces de mort sont déjà pénalement répréhensibles. Ne rien faire lorsque l’on en est témoin est définit comme non-assistance à personne en danger. De nombreux dispositifs existent déjà, dont la plateforme Pharos. En France, notre arsenal juridique est suffisant mais encore faut-il avoir les moyens de l’exploiter lorsque les délits sont commis sur Internet.
Commentaires
DELFAU le 23/02/2025 à 16:46
Ca serait bien que vous ayez un compte twitter, qu'on diffuse vos articles
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Philippe Salvador le 23/02/2025 à 14:15
Bonjour,
Vous pouvez nous suivre sur twitter @JToulousain,
Bien à vous.