L’American Cosmograph a pris le relais de l’Utopia en juin dernier. Tout en douceur. Le Journal Toulousain vous emmène dans les coulisses de ce lieu emblématique de Toulouse, voir l’envers du décor.
Par Nicolas Mathé
De l’extérieur, rien n’a changé. Même la fameuse gazette est toujours là sur les présentoirs en bois aux côtés du nouveau fanzine maison. À l’intérieur, les inscriptions en latin sur les marches, les statues d’anges et d’aigles qui trônent sur les massifs escaliers de bois ou l’imposante sculpture murale au-dessus du mur faisant face aux caisses sont également fidèles au poste. Tous ces éléments qui feraient kitsch n’importe où ailleurs mais qui donnent au lieu son côté majestueux et singulier. Finalement, rien n’a changé. Sauf l’appellation. Et encore, il s’agit d’un retour aux sources puisqu’American Cosmograph était déjà le nom du cinéma installé ici par la marque de chocolat Poulain en 1907. Un lieu affublé, dans les années 30, d’une image de « rade malfamé » et de « bouge abominable » mais qui a aussi vu naître l’Opéra de Toulouse dans une vie encore antérieure. La continuité, c’est le credo d’Annie Mahot et Jérémy Breta, les repreneurs aux manettes depuis juin, tous deux précédemment salariés de l’Utopia. « Il y avait vraiment une volonté de transmettre de la part des anciens propriétaires et l’on a voulu s’inscrire dans cette histoire. Le nouveau/ancien nom va dans ce sens. Des gens viennent nous dire que leurs parents ont connu l’époque de l’American Cosmograph. C’est magique ! On veut garder ce lien avec les spectateurs », raconte Annie Mahot. Même équipe de huit personnes, même esprit et bien sûr, même contenu. Un cinéma éclectique, le plus qualitatif possible, façonné chaque semaine lors des visionnages des films envoyés par les distributeurs et à l’issue desquels il est décidé en équipe de les programmer ou non. Deux contraintes, un distributeur peut parfois imposer le nombre de séances et il existe un système de partage avec l’ABC : « C’est très rare qu’on ait les mêmes films, il y a une sorte de roulement mais il arrive qu’on s’arrange. Quand l’un aime particulièrement une œuvre, l’autre aura la priorité le coup d’après. Ça se fait en bonne entente même s’il y a de la concurrence », sourit la jeune cogérante. Face au nombre grandissant de sorties, le choix est souvent cornélien mais c’est là que se dessine l’identité d’une salle. Avec des évidences, comme le prochain film des frères Dardenne, assuré de rester au moins trois semaines à l’affiche, mais aussi de nombreux paris. « On s’arrache souvent les cheveux pour agencer les films et constituer la grille mais notre manière de travailler avec ce programme de cinq semaines gravé dans le marbre, c’est ce qui nous permet de résister à certains producteurs et de soutenir un film coup de cœur en le mettant plusieurs fois à 20h par exemple ».
Une fois sélectionné, un film a encore un peu de chemin à parcourir avant d’atterrir enfin sur l’un des trois écrans de la rue Montardy. Et parmi cette équipe polyvalente où chacun alterne en caisse, en cabine, à l’accueil, à la rédaction des articles ou au balai, c’est Adélaïde qui fait la visite dans la salle des machines. L’Utopia est passé au numérique en 2011. Fini le défilé des transporteurs qui apportaient et reprenaient les copies, désormais un film arrive sous forme de disque dur, voire carrément dématérialisé via un espace de téléchargement. « On a gardé une machine argentique mais on doit s’en servir une fois par an à tout casser et c’est la grande aventure », s’amuse Adélaïde. Même s’il suffit aujourd’hui de charger le film dans un serveur et que l’on peut lancer les projections depuis un ordinateur installé dans le bureau derrière la caisse, il y a tout de même un côté matériel en cabine avec cette grande soufflerie qui soulage la machine. « Ce n’est plus le même savoir-faire mais cela ne se résume pas non plus à appuyer sur Play. On est responsable de l’ensemble d’une programmation, on doit s’assurer du bon déroulement et de la ponctualité de chaque séance », souligne Adélaïde, titulaire d’un CAP de projectionniste.
À l’image de sa nouvelle cogérante, l’American Cosmograph s’installe avec douceur. Des aménagements, une nouvelle enseigne et une programmation de soirées plus fournie seront mis en place plus tard, tranquillement. Et s’il arrive encore que certains distraits se présentent à mauvais escient devant les portes de l’American Cosmograph avec sous le bras la gazette de l’Utopia Tournefeuille, heureusement que les tickets, eux sont toujours valables pour les deux établissements.
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