LIBERTALIA. En pédalant le long de la Garonne, après le pont de Blagnac, une improbable maison bleue ouvre grand ses bras aux passants. Depuis 40 ans, le Bleu bleu, la buvette non officielle de Gilbert Vivien, rafraîchit les Toulousains. Avec de la bière et un vent de liberté.
C’est un endroit mythique. Un de ces lieux dont beaucoup parlent sans y avoir encore mis les pieds. « Oui, oui, c’est un café sans vraiment d’autorisation tenu par un centenaire, là-bas au bord de la Garonne, pas trop accessible… », assure Hélène qui en a entendu parler par des amis ayant fait leur footing dans les environs. « Ah oui, le Bleu bleu, j’y ai fait une sacrée fête une fois, ça devait être il y a 25 ans, je ne sais pas ce que c’est devenu », répond quant à lui Yves, jeune retraité.
Pour en avoir le cœur net, direction le chemin de Ginestous, entre Blagnac et Toulouse. De là, un sentier s’enfonce au milieu des jeunes arbres pour retrouver la Garonne. En toile de fond, on aperçoit un bloc couleur azur, des tables et des chaises bigarrées. « Vous pouvez aller boire un verre, la serveuse est par-là », lance un vieux monsieur occupé à débroussailler les alentours du sentier.
En marcel et grand pantalon de toile, Gilbert Vivien indique la maison bleue, sa maison bleue. « Je vais venir, mais j’ai du boulot à finir », poursuit-il. Malgré ses 80 ans passés, Gilbert Vivien n’est pas près de prendre sa retraite. Ce touche-à-tout, qui fut aussi plombier par le passé, a posé l’ancre ici il y a plus de 40 ans. « Ce terrain appartenait à ma famille, alors j’ai construit ma maison moi-même », raconte-t-il.
Autour de sa baraque, il a ensuite monté des bâtiments et crée des terrasses au bord de l’eau. Ses amis sont venus de plus en plus souvent profiter de son bord de Garonne, et petit à petit, sa buvette informelle s’est ouverte aux passants. Suivant les indications de Gilbert Vivien, nous tombons sur la maison bleue en question.
À côté, dans une cour délimitée par de petites cahutes, un groupe de jeunes gens vient commander des bières. Ils descendent avec leurs boissons à travers un étonnant enchevêtrement de terrasses allant jusqu’au bord de l’eau. Dans chaque petite alcôve, il y a des tables et des chaises de récupération, jamais assorties, et des gamelles de chien clouées en guise de cendrier. « Que voulez-vous boire ? », demande ‘’la serveuse’’.
Ici, les serveuses sont plutôt des amies de Gilbert Vivien, des voisines, des personnes qui aiment ce lieu et participent à son fonctionnement. Car depuis les années 1960, le Bleu bleu a pris ses marques dans le paysage. Il est même devenu un repaire pour de nombreux habitants des environs ou des passants réguliers.
Comme pour Beber. Ce quinquagénaire vient de garer son vélo pour saluer la compagnie. « Cela fait des années que je viens ici, explique-t-il. J’ai découvert l’endroit en allant à mon jardin potager un peu plus loin ». Cat, elle aussi, fait partie des habitués qui mettent la main à la pâte. Elle sert des verres, répond aux demandes. « La buvette est ouverte tous les jours jusqu’à la tombée de la nuit, on peut venir avec son pique-nique, apporter des saucisses et on vous prête une grille pour le barbecue… C’est vraiment un lieu de liberté », se réjouit-elle.
« On peut venir avec son pique-nique, apporter des saucisses et on vous prête une grille pour le barbecue… C’est vraiment un lieu de liberté »
Un chien aboie avant de se jeter à l’eau, des joggeurs passent au trot avec leur tenue fluo. Un jeune couple commande des jus de fruits avant d’aller les siroter les pieds dans l’eau.
Gilbert bricole vaillamment, malgré les 116 ans qu’il dit avoir. Mais ce royaume de la récupération, bien organisé, cet oasis pirate non aseptisée et sans autorisation officielle, a failli plusieurs fois disparaître. « En 2001, les autorités ont fait détruire les terrasses, car il n’y avait pas de permis ni d’autorisation. Pendant une journée, avec d’autres amis, on est venu avec les voitures pour bloquer l’avancée des tractopelles », raconte Beber.
Si Gilbert Vivien a alors écopé d’une amende, dont il paye toujours les traites, il n’a pas baissé les bras. Jamais. Même après plusieurs agressions pour lui voler sa caisse et quelques inondations. Aujourd’hui, malgré l’évolution du secteur, entre les sentiers du Grand parc Garonne et l’évacuation du camp de Roms de Ginestous tout proche qui sera transformé en golf, le Bleu bleu reste debout.
La buvette a même eu droit à une petite visite de la municipalité, qui semble elle aussi avoir pris goût à l’ambiance de cette île bleue perdue dans l’agglomération. « Pour le moment, le Bleu bleu n’est pas menacé », glisse une ‘’serveuse’’. Profitons-en pour commander une autre tournée.
Maylis Jean-Préau
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