FORCE DE FRAPPE – Si, pour l’heure, rien n’oblige les représentants politiques français à tenir compte des pétitions, ni même à y répondre, pour Yann-Arzel Durelle-Marc, maître de conférences en Histoire du droit et des institutions, elles n’en restent pas moins un outil démocratique efficace dans certaines conditions.
4 à 6 millions de Français ont signé une pétition en ligne en 2013. Avec l’essor de plateformes numériques spécialisées comme Change.org, MesOpinions.com, Avaaz.org, faire entendre sa voix n’a jamais été aussi rapide.
Ces sites dépoussièrent un droit ancien et fondateur de la République française, mais quelque peu tombé en désuétude depuis. « Lors de la dernière législature, le Parlement s’est vu remettre une cinquantaine de pétitions, contre 150 par jour juste après la Révolution française » note Yann-Arzel Durelle-Marc. Le signe, selon lui, « d’une relation de mauvaise qualité entre les représentants politiques et les représentés ».
Aujourd’hui, tout citoyen français peut adresser une pétition manuscrite ou électronique au président de la République, à l’Assemblée nationale, au Conseil économique, social et environnemental (Cese), au Parlement européen et aux autorités locales. Mais, en passant dans les rouages institutionnels, « elle a de nombreuses occasions d’être détournée de la prise de décision » estime Yann-Arzel Durelle-Marc.
L’Assemblée nationale dispose par exemple d’un bureau des pétitions. Il analyse et résume les textes, et selon le champ de compétence visé, les transfère à l’institution concernée. Cependant, « elle n’est pas tenue d’y répondre, ni d’inscrire ces revendications à l’ordre du jour ou de tenir informés les signataires du devenir de leur texte » rappelle le chercheur. Depuis 2010, le Cese a la possibilité de se prononcer sur une pétition dépassant les 500 000 signatures. Outre une procédure d’enregistrement complexe, le rôle du Cese n’est que consultatif. La chance d’influencer un potentiel texte de loi est donc aléatoire.
“On sait très rarement quand les représentants politiques en tiennent compte pour prendre leur décision”
Difficile également pour un citoyen de connaître l’impact réel de sa signature. « Excepté en 1791, où une loi a été votée sur la base d’une pétition, on sait très rarement quand les représentants politiques en tiennent compte pour prendre leur décision », précise le chercheur.
Pour autant, selon lui, cela n’empêche pas d’espérer un aboutissement. La grâce accordée à Jacqueline Sauvage par François Hollande est, à son sens, directement liée au texte que lui avaient adressé plus de 380 000 signataires. Il en va de même pour la pétition lancée par Caroline de Haas pour demander le retrait de la loi Travail qui avait recueilli plus de 1,3 million de signatures. « Elle a démontré son efficacité dans la mesure où elle a fédéré un très grand nombre de personnes et a pesé dans le débat démocratique » souligne le chercheur.
Si les plateformes numériques « viennent renforcer la puissance des pétitions en les massifiant », elles ont, selon Yann-Arzel Durelle-Marc, un rôle ambivalent. Elles ouvrent aussi la voie à une potentielle dispersion de la mobilisation par « de nombreuses sollicitations pour des revendications anecdotiques ne relevant pas de l’intérêt général ».
Cela n’a pas empêché certains pays d’intégrer cette forme d’expression populaire dans le processus législatif. En Angleterre, la Constitution prévoit que toute pétition atteignant plus de 100 000 signatures donne lieu à un débat à la Chambre des communes. En France, Emmanuel Macron a annoncé vouloir renforcer le droit de pétition. Sans toutefois dévoiler concrètement comment.
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