Le Journal Toulousain va à la rencontre de Français expatriés au quatre coins du monde pour qu’ils nous racontent comment ils y vivent l’épidémie de Covid-19. Aujourd’hui, nous enjambons l’océan pour nous rendre à Sao Polo, au Sud du Brésil, où s’est installé la violoniste Vanille Goovaerts, il y a 2 ans.
Le Journal Toulousain : Avec un bilan qui approche le demi-million de morts et la menace d’une troisième vague, comment la population vit la pandémie de Covid-19 au Brésil ?
Vanille Goovaerts : Comme dans le monde entier, les Brésiliens sont assez partagés avec des avis et des ressentis très différents. Il y a des personnes qui sont horrifiées par la situation et qui prennent les choses très au sérieux, notamment l’isolement, et d’autres qui s’alignent plutôt sur la position du président Jair Bolsonaro. Mais le Brésil est un grand pays et la situation est très différente pour les gens qui vivent dans le centre des grandes villes, en périphérie ou à la campagne.
Par ailleurs, la condition sociale est un facteur déterminant. Je connais des brésiliens qui sont inquiets et préféreraient s’isoler chez eux, mais qui n’ont pas d’autres choix que d’aller travailler. Pour ma part, ça fait plus d’un an que je suis confinée dans mon appartement. Comme j’enseigne le français et que je suis musicienne, je peux rester à la maison. Je donne mes cours par internet et je travaille mon instrument. Je fais partie des gens qui ont la chance de pouvoir prendre leurs propres décisions en fonction de leur compréhension de la situation.
« Toutes les déclarations de Bolsonaro sont choquantes »
Quel regard portez-vous sur la gestion de l’épidémie de Covid au Brésil ?
La gestion de la crise fait énormément polémique. Les mesures sont prises sans cohérence ni lien avec la situation sanitaire. On ouvre, on ferme, on ouvre, sans comprendre vraiment ce qui motive ces décisions. De plus, toutes les déclarations faites par Bolsonaro sont choquantes. Dès le début de la crise, il a parlé de grippette puis refusé de mettre en place des mesures sanitaires au motif que les brésiliens étaient ”naturellement immunisés car ils ont l’habitude de patauger dans les égouts”. Il a également privilégié des thérapies alternatives inefficaces plutôt que de s’engager dans la recherche sur les vaccins, alors que le Brésil dispose de laboratoires parmi les plus performants du monde. Il à même mis des bâtons dans les roues des gouverneurs qui ont, dans leurs états respectifs, tentés de gérer la crise ou d’importer des doses. En plus de ne pas gérer, il a compliqué les choses. Le Brésil avait pourtant tout pour s’en sortir.
Les Brésiliens sont-ils défiants vis-à-vis des vaccins ?
Ici, la plupart des gens veulent se faire vacciner. Je ne connais pas de Brésiliens qui y soient opposés. Ce qui est très perturbant c’est de constater qu’il y a une sorte de renversement par rapport à la France où une partie de la gauche humaniste est défiante alors qu’ici elle l’attend avec impatience, avec la conviction que c’est aussi pour protéger l’autre. En fait, c’est plutôt la droite bolsonariste qui est réticente. Me concernant, je vais profiter d’aller rendre visite à ma famille en France, très prochainement, pour me faire vacciner. Pour moi c’est nécessaire car je ne veux pas rester enfermée encore six mois. Ici, il y a peu de doses et celles-ci sont encore réservées aux personnes âgées ou ayant des comorbidités.
« Ce qui m’a frappé, c’est le caractère répressif de la gestion de l’épidémie qui s’est imposé en France »
Et quel est leur point de vue sur la gestion de la crise en France ?
Globalement, les Brésiliens s’intéressent assez peu à ce qui se passe en France. A minima, ils considèrent l’Union européenne dans son ensemble. Ils voient surtout que la vaccination a beaucoup avancé et se disent, avec un peu d’envie, que l’Europe va peut-être bientôt s’en sortir. Mais, en réalité, il regardent principalement ce que font les États-Unis, notamment à l’époque de Trump, ou les autres pays d’Amérique latine. Pour ma part, je suis très mitigée. Même si je pense que les mesures prises ont été les bonnes, je trouve que le gouvernement a fait preuve d’arrogance. À cause d’un manque de transparence, d’un ton péremptoire et paternaliste ou de déclarations contradictoires voire mensongères, le gouvernement a créé de la défiance. Les dirigeants auraient du accepter de dire, quand c’était le cas, qu’ils ne savaient pas à l’avance comment les choses allaient évoluer.
Selon vous, quelles différences notoires entre nos deux pays a révélé la pandémie ?
Ce qui m’a frappé, en plus de cette approche infantilisante, c’est le caractère répressif qui s’est immédiatement imposé dans la gestion de l’épidémie en France. Dès que des mesures sanitaires ont été prises, il y a eu des attestations, un déploiement de la police et des contrôles. D’un côté, je me dis que c’est n’importe quoi et que ça arrange bien le gouvernement et, de l’autre, que c’est justifié parce que les français aiment se sentir libre et ont une propension a défier les lois. Le problème c’est que cette dimension autoritaire pousse à réagir, à s’opposer, au lieu de créer de l’adhésion. Au Brésil tout est plus flexible et chacun fait son choix.
« On a l’impression d’être face à une loterie dramatique »
Au Brésil, la question complotiste s’est-elle invitée, comme en France, dans le débat sur la pandémie ?
J’ai l’impression qu’il y a, en France, une sorte de dévoiement du principe de la liberté individuelle qui s’accompagne d’une dérive un peu outrancière de l’esprit critique. Les gens veulent montrer qu’ils ne sont ni naïfs ni manipulés. Au Brésil, le complotisme n’est pas le même. Il est beaucoup plus irrationnel. Notamment à cause de la forte présence évangéliste. Par exemple, certaines personnes pensent que le vaccin chinois est une porte d’entrée pour Satan et que les personnes vaccinées vont se transformer en reptile. Mais de manière générale, je trouve que le débat s’est polarisé autour de positions irréconciliables. J’en viens à avoir peur des altercations que peut susciter le sujet.
C’est-à-dire ?
C’est comme s’il y avait le camp des enfermistes contre le camps des voyagistes. Parfois, je me sens attaquée parce que je fais le choix de rester chez moi. Certaines personnes me rient au nez ou me traitent d’idiote, alors que je fais un gros sacrifice pour protéger les autres. Mais tout ça est très relatif en fonction de l’endroit où on vit. Au Brésil, il y a beaucoup de personnes qui sont mortes alors qu’elles n’auraient pas dû. Des jeunes sans comorbidité. On a beaucoup plus l’impression d’être face à une loterie dramatique. En France, les gens n’ont pas nécessairement conscience de ça. On ne peut pas se contenter de regarder ce qui se passe dans son pays pour comprendre la situation.
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