Les mises en vente sont au plus bas. Les stocks sont réduits au minima. La situation du marché du logement neuf est au plus mal sur l’aire urbaine de Toulouse depuis 12 ans. Un constat alarmant de l’Observer de l’immobilier, qui ne voit pas de perspectives optimistes à court terme. Jean-Philippe Jarno, président de l’organisme et directeur général d’Urbis Réalisations, revient sur les causes et les conséquences d’une telle conjoncture.
Le Journal Toulousain : Quelle est la situation du marché du logement neuf à Toulouse ?
Jean-Philippe Jarno : Aujourd’hui, ce marché est réellement sous tension sur l’aire urbaine de Toulouse, à cause de la mise à l’offre. Nous n’avons jamais connu un aussi faible volume de logements mis à la vente depuis 2009, et la crise des subprimes. Logiquement, ce phénomène en entraîne un autre : le déclin des ventes. Quand il n’y a plus rien à vendre, on n’achète pas ! Et ce qu’il reste à vendre devient très cher !
Pour le seul troisième trimestre 2021, la situation est encore plus catastrophique. Comparée à une année normale comme 2019, la dette des logements mis en vente sur l’aire urbaine de Toulouse est de 59 %. Sachant que déjà en 2019, le nombre des biens neufs à vendre avait déjà baissé de 15 % par rapport à 2017.
Il s’agit donc d’une crise. Mais elle a cela de particulier que l’économie est florissante, même en surchauffe pour certains secteurs. Et comme beaucoup d’industries, nous manquons de matière première. Nous concernant, c’est de terrain à bâtir dont nous parlons, ainsi que de permis de construire.
JT : L’offre de logements neufs est donc en chute libre, mais qu’en est-il de la demande ?
JPJ : La demande reste, elle, soutenue. Pour preuve, nous enregistrons +10 % de transactions par rapport à l’an passé, alors que les mises en vente ont baissé de 6 %. Ainsi, l’on consomme plus de biens mis sur le marché que l’on en produit. Le stock est alors attaqué et diminue d’environ 1 000 logements par semestre, pour atteindre 3 793 à la fin du mois de septembre sur l’aire urbaine de Toulouse. Il était de 6 600 en 2018. Et si l’on continue sur la même trajectoire, nous ne pourrons plus proposer que 3 000 logements à l’offre, à la fin de l’année.
JT : Peut-on parler de pénurie ?
JPJ : Oui, clairement, et depuis un moment. Ce terme peut être employé depuis déjà deux ans. La tendance était déjà visible avant la crise de la Covid-19, et celle-ci n’a fait que la précipiter. Cette pénurie est due à trois facteurs concomitants : l’épidémie et ses confinements, les élections municipales qui ont asséché les délivrances de permis de construire, et la crise économique mondiale consécutive à celle de la Covid-19. Concrètement, les terrains se font plus rares, les permis de construire sont très durs à obtenir et font souvent l’objet de recours, et le prix des matières premières flambe. Résultat : les coûts de production vont augmenter, et par ricochet, les prix à la vente également. Toutefois, cela n’est pas encore visible.
JT : Vous évoquez les causes de cette pénurie et parlez des élections municipales. Peut-on encore, deux ans après, invoquer cette raison ?
JPJ : Durant les élections, beaucoup d’élus ont bien compris qu’il existait une forte résistance de la population, et donc des électeurs, à la construction. Les gens sont généralement pour, à partir du moment où les projets ne prennent pas forme à côté de chez eux. Les candidats aux municipales y sont sensibles. Il a donc été plus compliqué d’obtenir des permis de construire. Et même une fois les élections passées, nous n’avons pas retrouvé la même dynamique qu’auparavant. L’attentisme règne en la matière.
De plus, le Plan local d’urbanisme (Plui-H) a été annulé. Dès lors, de nombreux permis de construire n’ont pas été délivrés. Et la situation est toujours bloquée de ce côté-là.
JT : En attendant un nouveau Plui-H, un Pacte métropolitain pour l’habitat vient d’être adopté. Vous suffit-il pour disposer de la visibilité dont vous avez besoin ?
JPJ : C’est déjà mieux que rien. À ce titre, les maires des communes de Toulouse Métropole ont clairement exprimé leur souhait de construire 7 000 logements neufs par an. Mais un pacte ne les engage à rien. J’attends donc de voir se concrétiser cette volonté.
Sans compter que le volume annoncé n’est pas forcément suffisant. Tout dépend si ce chiffre comprend les seuls permis de construire ou le début des travaux. Car les recours contre les projets immobiliers de multiplient. C’est devenu un sport national. Un quart des programmes font l’objet d’un recours. Ainsi, s’ils sont compris dans le nombre annoncé, seuls 5 500 logements seront effectivement construits.
JT : Quel impact cette situation de pénurie aura-t-elle sur les prix de l’immobilier neuf ?
JPJ : Ils vont augmenter. Prenons l’exemple de Montpellier où les prix ont grimpé de 6,8 % en un an (+11 % sur deux ans). Ou de Bordeaux qui enregistre +5,5 % en deux ans. À Toulouse, nous n’en sommes qu’à 2,8 % d’augmentation depuis 2020 (3,9 % depuis 2019). Donc l’évolution des prix dans la Ville rose reste relative. Mais si rien ne se passe, nous pourrions atteindre les mêmes tarifs qu’à Montpellier ou Bordeaux.
JT : En parallèle, il semblerait que la situation sur le territoire du Sicoval soit moins tendue. Comment l’expliquer ?
JPJ : Effectivement. Nous avons enregistré pas mal de mises à l’offre au troisième trimestre 2021, mais il s’agit de petits volumes puisqu’il n’y en a eu que 97 (contre 109 au premier trimestre et 120 au deuxième trimestre). Il faut également préciser que ces logements sont concentrés sur trois communes : Castanet-Tolosan, Baziège et Ramonville-Saint-Agne. De plus, les permis pouvant mettre de 6 à 9 mois avant d’être déposés, et environ 6 mois de plus pour être étudiés par les communes, les chiffres observables aujourd’hui sont le résultat de dossiers constitués il y a déjà un an et demi, voire plus. Ainsi, il reste difficile de tirer des conclusions à partir de ces statistiques.
JT : Quelles sont les perspectives pour le secteur du logement neuf ?
JPJ : Je ne vois rien au loin qui pourrait être un tant soit peu rassurant. La situation est alarmante. Et aucun signal à l’horizon qui permettrait d’espérer une relance des permis de construire. La temporalité étant longue dans ce type de démarche, puisqu’un an et demi est nécessaire entre le moment où nous repérons un terrain et celui où nous obtenons le sésame, nous ne verrons aucune amélioration avant 2023. Il faudra des années pour retrouver des stocks acceptables, du niveau de 2018. Il faudrait doubler le nombre de logements mis en vente pour remonter la pente. Le secteur de la construction s’apprête donc à être sinistré durablement.
Commentaires