En constante veille, Infos Sectes Midi-Pyrénées observe une augmentation des mouvements déviants, susceptibles de s’orienter vers des dérives sectaires, depuis le début de la crise sanitaire due à la Covid-19. Incitation à l’isolement, déscolarisation des enfants, refus de soins… Simone Risch, présidente de l’association, revient sur ce phénomène inquiétant en Occitanie. Interview.
Journal Toulousain : La crise sanitaire due à la Covid-19 a-t-elle contribué à l’émergence ou le développement de certains mouvements déviants en Occitanie ?
Simone Risch : Tout à fait, c’est ce que nous avons observé. De même que la spécificité des modes d’approche. L’isolement, l’éloignement, la solitude, le mal-être… qu’ont pu ressentir les gens fragiles durant les périodes de confinement, ont clairement provoqué une recrudescence de l’intérêt pour les pratiques permettant de se rassurer, de se mettre dans une bulle. Ces dernières étant recherchées principalement sur Internet. Elles sont essentiellement axées sur des préoccupations de santé et de bien-être. Bien souvent, autour des groupes sectaires gravitent des associations qui militent pour l’éducation parallèle, pour des médecines alternatives…
L’objectif de ces mouvements étant d’attirer toujours plus de nouveaux adeptes, de les séduire, puis de les motiver. Pour cela, ils choisissent un thème en lien avec ce qu’ils prônent, comme la santé, l’éducation, la culture… Une fois qu’ils ont suscité l’intérêt d’une personne, ils créent une bulle de confiance et l’y maintiennent. Il s’agira ensuite de la pousser à intégrer pleinement la structure. Et depuis deux ans, il leur ai plus facile de réaliser ce schéma de recrutement.
L’objectif de ces mouvements est d’attirer, séduire et motiver
JT : Dans quelle mesure ce phénomène s’est-il intensifié ?
SR : Depuis le 4 janvier, nous avons reçu 16 appels téléphoniques (l’interview a été réalisée le 11 janvier 2022, NDLR). Sans rentrer dans les détails, il s’agit-là de signalements de faits graves, qui mettent en cause des familles et des enfants. Ainsi, ce sont deux à trois témoignages par jour en moyenne qui nous parviennent. C’est énorme. Et il est certain que la période anxiogène dans laquelle nous vivons participe au développement de ces groupes.
JT : En quels termes l’épidémie de Covid-19 a amplifier la multiplication de ces réseaux ?
RS : La peur générée par la crise sanitaire, qu’elle soit pour sa propre santé, du vaccin, d’un puçage… a ouvert un boulevard aux mouvements déviants. Les réponses qu’offrent ces groupes sont le repli sur soi et la vie en communauté, de manière autonome, pour ne plus rien devoir aux gouvernants. Les mouvements sectaires se sont servis des multiples revirements et adaptations de l’État dans la gestion sanitaire pour démontrer l’incapacité du système à protéger les gens, tout en leur expliquant que leur mouvement pourrait leur offrir la sécurité qu’ils recherchent.
Les agissements les plus fréquents en ce moment sont d’abord la déscolarisation des enfants et le recours aux praticiens qui proposent des méthodes de soins pour guérir la Covid-19 et qui tiennent alors du charlatanisme, en proscrivant tous médicaments. Mais aussi des propositions plus subtiles pour se maintenir en bonne santé, au travers de l’alimentation, de la méditation. Nous avons remarqué que, depuis le début de la pandémie, ce phénomène s’intensifie.
La peur générée par la crise sanitaire a ouvert un boulevard aux mouvements déviants
JT : De quelle manière ces mouvements parviennent-ils à détourner des pratiques pourtant bienveillantes au départ ?
SR : Attention d’abord à ne pas faire d’amalgame. Certaines pratiques, qui peuvent être utilisées de manière déviante, ne le sont pas forcément initialement. Ainsi, quelqu’un qui pratique la méditation n’est pas du tout en danger. En revanche, des groupes malveillants peuvent en user pour servir leur cause.
Pour exemple, nous avons retrouvé, dans une “Boîte à lire”, en plein centre-ville de Toulouse, un livret édité par un mouvement sectaire internationalement connu. Intitulé “Comment faire pour que les autres et vous-même restiez en bonne santé”, ce fascicule donne des recommandations pour « prévenir la propagation de maladies, et maintenir un environnement sain ». Il y est question de distanciation sociale, d’aération des pièces, de lavage de mains… Bref, des conseils tout à fait raisonnables au premier abord. Mais au dos, figure un QR code, qui renvoie vers leur site.
JT : Cette recrudescence des groupes sectaires est-elle propre à l’Occitanie ?
SR : Non, ce phénomène est observable partout, il est général. Infos Sectes Midi-Pyrénées est en contact avec les autres associations de différentes régions, qui ont constaté la même augmentation de ces mouvements sectaires. Toutefois, nous remarquons que ces derniers ont tendance à se développer plutôt dans le Sud. Par exemple, dans le Lot, le mouvement complotiste ”One Nation”, repéré par la Miviludes (organisme qui observe et analyse le phénomène sectaire, NDLR), a tenté d’acheter un domaine pour installer sa communauté. Le projet n’a pas abouti, mais la structure est parvenu à créer des ”branches” dans tous les départements d’Occitanie. Ils disposent d’autant de membres en Ariège qu’en Haute-Garonne. Et la crise sanitaire les y a aidés. Il s’agit d’une véritable nébuleuse.
JT : Comment Infos Sectes repère un mouvement susceptible de s’orienter vers des dérives sectaires ?
SR : Juridiquement, il n’existe pas de définition d’une secte. Ainsi, c’est sur des critères de dangerosité qu’un groupe peut être considéré comme déviant. Et ce n’est qu’au travers de faits juridiquement condamnables que ces mouvements peuvent être identifiés et sanctionnés.
La plupart du temps, nous sommes alertés par des témoignages, des signalements d’un membre de la famille qui s’inquiète du comportement ou des pratiques de l’un de ses proches. Nous assurons également une veille sur Internet, car nous savons qu’ils fonctionnent en réseau. Nous observons ainsi l’évolution de certains mouvements suspects.
Le complotisme favorise l’émergence de structures sectaires
JT : A quoi ressemblent ces groupes ?
SR : Nous constatons une évolution de ces communautés. Elles n’ont plus rien à voir avec des organisations comme l’Ordre du Temple solaire. Elles sont beaucoup plus subtiles, plus discrètes et bien organisées. Il est ainsi plus difficile pour les proches de se rendre compte d’un endoctrinement.
Depuis la crise sanitaire, un autre phénomène s’est également accentué, celui du complotisme. Même si ce mouvement ne peut pas être assimilé à des groupes sectaires, il existe quelques similitudes. Tous les complotistes ne font pas partie d’une organisation déviante, et heureusement. En revanche, le complotisme favorise l’émergence de structures sectaires. Tout comme le survivalisme.
Pour contacter Infos Sectes Midi-Pyrénées : 06 51 57 28 66 ou 05 61 61 02 97. infosectes.midy@free.fr.
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