Gilles Van Kote est directeur délégué au développement du groupe Le Monde et président du festival International de journalisme qui se tiendra du 9 au 11 juillet, à Couthures-sur-Garonne, dans le Lot-et-Garonne. État des lieux d’une profession souvent décriée et en perpétuelle mutation.
Le Journal Toulousain : Comment expliquez-vous que, sondage après sondage, une majorité des Français ne fait pas confiance aux médias ?
Cette méfiance s’est installée il y a bien longtemps. Lorsque j’étais en école de journalisme, il y a 35 ans, il en était déjà question. Et cela n’a fait que s’aggraver depuis. Ce qui doit bien sûr nous interroger et nous porter à l’autocritique. C’est un élément qui est dans l’ADN du Festival international de journalisme. Cet évènement n’est pas là pour faire la publicité de notre profession. Il s’agit de débattre avec nos lecteurs, nos auditeurs ou nos téléspectateurs, de ce qui leur plaît ou leur déplaît dans les médias. Ce sont les festivaliers qui posent les questions. L’idée c’est de sortir de nos rédactions, très parisiennes, pour faire tomber les barrières dans un lieu neutre. Et de montrer les arrières-cuisines, d’expliquer le travail des journalistes, comment on écrit un article, comment on fait un journal… Car ce métier suscite beaucoup de fantasmes.
Par exemple ?
Beaucoup de gens s’imaginent que les journalistes manipulent l’information : c’est du complotisme. 90 % des journalistes sont des gens amoureux de l’actualité et des rencontres. Ils veulent simplement raconter des histoires vraies et les faire partager au plus grand nombre.
Comment bien s’informer ?
En reprenant le contrôle de ses canaux d’information. Aujourd’hui, elles viennent de partout, sérieuses ou pas, mensongères parfois. Nous sommes à l’ère de l’infobésité, dans laquelle le citoyen est noyé. Il faut lui apprendre à reconnaître ce qu’est une information de qualité. Qu’il sache où il met les pieds. Pour cela, les journalistes doivent mouiller leur chemise et aller faire de l’éducation aux médias dans les collèges et les lycées. N’oublions pas que nous sommes responsables d’avoir laissé une génération de gamins, celle qui a aujourd’hui entre 25 et 35 ans, sans aucun élément de compréhension de ce qui se passe sur les réseaux sociaux. On les a laissé se débrouiller sans outil qui leur permette de faire la différence entre une tentative de manipulation, un site satyrique ou un site d’informations de qualité.
Qu’est ce qu’une information de qualité ?
C’est celle, fiable et rigoureuse, pour laquelle d’importants moyens rédactionnels sont mobilisés. C’est le cas au Monde, où le nombre des abonnements explose, ce qui prouve que les gens sont prêts à payer pour une information de qualité. Malheureusement, puisque celle-ci émane de plus en plus de médias payants, une fracture informationnelle est en train de se creuser, entre ceux qui ont les moyens de s’y abonner et ceux qui ne les ont pas et doivent se contenter de médias gratuits.
Que pensez-vous de la montée en puissance des médias d’opinion, comme CNews ?
Il faut d’abord relativiser, puisque l’audience de cette chaîne ne dépasse pas 3 %. Ensuite, le journalisme d’opinion a toujours existé en France, à la différence des pays anglo-saxons. Cela répond à une envie des citoyens. Mais là encore faut-il qu’on lui fournisse les éléments pour distinguer ce qui est éditorialisé du journalisme d’information.
La présence d’experts sur ces chaînes d’info est-elle trop importante ?
Non, sur le principe, cela ne me choque pas : le journaliste, par définition donne la parole aux experts. Mais il faut qu’il choisisse des experts reconnus dans leurs secteurs d’activité. Je dirais qu’il doit avoir une certaine expertise de l’expert. Pendant la crise sanitaire, on a trop vu de gens s’ériger en spécialistes et enquiller les contrevérités, voire les constructions fallacieuses.
Et quid des débats qui se multiplient en lieu et place des tranches d’information ?
Il faut s’interroger sur la montée en puissance de ce journalisme du clash. Pourquoi voit-on émerger ce spectacle de l’information, où le journaliste devient un metteur en scène ? Il y a un risque de confusion. Par exemple, on ne devrait pas considérer CNews, qui privilégie ces moments d’affrontement et d’adrénaline, comme un endroit où l’on va trouver une information fiable et rigoureuse. Ce phénomène, qui prend de l’ampleur à la télévision et à la radio, est inquiétant. Il sera certainement au menu de la prochaine édition du Festival international de journalisme.
Un mot sur le sexisme au sein de la profession, dont plusieurs affaires ont révélé l’étendue.
Peut-être que certains médias pensaient être à l’abri de ce genre de comportements. Parce que les journalistes sont censés être des gens cultivés, raisonnables… Et puis, les choses sont sorties de la marmite, des affaires ont éclaté et on s’est aperçu que les médias sont, eux aussi, des lieux de pouvoir et de domination masculine. Il faut, comme ailleurs, mettre en place des process pour que les agissements sexistes disparaissent des rédactions. Et, même si la profession s’est beaucoup féminisée ces vingt dernières années, la majorité des fonctions hiérarchiques est encore tenue par les hommes. C’est un sujet que nous aborderons lors du Festival, en présence de plusieurs femmes directrices de rédactions.
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