Les expérimentations de nouvelles trajectoires lors du décollage des avions et l’augmentation des vols de nuit à l’aéroport Toulouse-Blagnac ont relancé les débats sur les nuisances aériennes. Pour les limiter, l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) émet des recommandations précises. Son président Gilles Leblanc, revient sur la situation particulière de l’aéroport de la Ville rose et la manière de réduire bruit et pollution. Interview.
Le Journal Toulousain : Comme tous les aéroports de France, celui de Toulouse-Blagnac est depuis longtemps la cible des riverains vivant sous les couloirs aériens. La situation est-elle exacerbée dans la Ville rose ?
Gilles Leblanc : Elle est au moins particulière. Toulouse étant la capitale européenne de l’aéronautique, beaucoup de gens sont très qualifiés dans ce domaine, ils ont de l’expérience et sont, du coup, plus exigeants. Les discussions sont ainsi plus difficiles qu’ailleurs à gérer de manière générale. Ainsi, plus que dans d’autre régions, la confiance de la population dans les capacités du secteur à réduire les impacts locaux comme le bruit et la pollution est émoussée. La situation n’est donc pas pire ou meilleure. L’attente est par contre plus forte. Et aujourd’hui, Toulouse n’est pas la vitrine qu’elle pourrait être.
JT : La privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac en 2015 a-t-elle empirée les nuisances aériennes ?
GL : Cette opération a sûrement créé des tensions entre les acteurs et cela a peut-être retardé un travail collaboratif entre les industriels, l’aéroport lui-même, les compagnies aériennes et les services de la navigation. Mais il n’y a pas encore assez de recul pour en tirer des conclusions.
Quant à l’augmentation des cadences dénoncées par les riverains, rien ne prouve qu’elle soit inhérente à la privation. Peut-être est-elle due à la multiplication de la clientèle, tout simplement. Toujours est-il que cette progression du trafic est réelle. Il y a notamment eu des débordements la nuit. Le trafic nocturne a été mal maîtrisé et cela a été source de vives réactions. Mais c’est tout l’enjeu de la période actuelle : alors que le trafic reprend après une période d’effondrement liée à la Covid-19, comment faire en sorte que les nuisances, elles, soient moins importantes qu’avant la crise ? C’est aujourd’hui le challenge du secteur et de l’agglomération toulousaine.
JT : Quelles sont justement les recommandations de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) pour réduire le bruit et la pollution ?
GL : Différents leviers peuvent être actionnés. Le premier d’entre eux reste la réduction à la source. Autrement dit, nous recommandons le renouvellement des flottes opérant sur l’aéroport, sachant que les avions les plus modernes moins d’impact. De même, l’interdiction, petit à petit, des aéronefs les plus polluants ou les plus bruyants. D’ailleurs, l’Airbus A220, présenté il y a quelques jours, vante ses performances environnementales.
Nos préconisations portent également sur les procédures opérationnelles. Plus clairement, elles concernent le déplacement des avions sur le tarmac, ou le roulage, qui doit devenir le plus sobre possible (c’est là que 6 à 8 % des émissions sonores ou atmosphériques ont lieu). Mais aussi lors des procédures d’approche (notamment la généralisation de la descente en continu sur des trajectoires optimisées pour éviter les effets “pallier”) et de décollage (viser des trajectoires de précision avec de la navigation satellitaire). Ce dernier enjeu a d’ailleurs cristallisé les débats à Toulouse.
Ensuite, il est possible d’agir sur la planification. Pour cela, il est nécessaire de ne pas augmenter la population dans les zones les plus exposées. Mais aussi sur l’insonorisation. La taxe additionnelle sur le billet d’avion permet de financer les travaux d’insonorisation des établissements de santé, scolaires, ou les logements situés dans les zones de bruit plus intense. Il s’agit d’un dispositif de réparation certes, mais il est d’importance.
Pour finir, le levier de la modulation tarifaire, sur lequel les aéroports français, celui de Toulouse compris, ne vont pas assez loin selon l’Acnusa. Il s’agit de moduler les redevances que payent les compagnies aériennes en fonction des caractéristiques environnementales des aéronefs et des horaires de vol.
JT : Justement, concernant les vols de nuit, ils ont augmenté à l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Comment limiter ces nuisances nocturnes ?
GL : Il y a eu effectivement un dérapage flagrant en la matière. Pour y remédier, à l’aéroport et aux compagnies aériennes de travailler sur la programmation des vols. Un passager qui aurait pris un billet low-cost pour aller de Toulouse au Portugal, n’a pas besoin de décoller à 3h du matin. Parallèlement, des mesures réglementaires peuvent être mises en place. D’abord, le ministre des Transports pourrait, sur proposition locale, interdire les aéronefs les plus bruyants durant la nuit. Ensuite, il pourrait être mis en place un plafonnement des vols de nuit ou un couvre-feu.
JT : À Toulouse-Blagnac, aucune de ces mesures n’est en vigueur. La multiplication des vols de nuit est-elle le fruit de ce manque de réglementation ?
GL : En partie. Quand il n’y a pas de règle, il n’y a pas de sanction. Tant qu’aucun arrêté ministériel ne plafonnera le trafic de nuit ou ne fixera de couvre-feu, il n’y aura pas d’infraction. La seule augmentation du trafic n’étant pas répréhensible. Assurément, si l’aéroport de Toulouse-Blagnac était doté de tels aménagements, les débordements n’auraient pas lieu, puisqu’ils seraient punissables.
À noter que, pour être efficace dans la réduction des nuisances aériennes, cette réglementation doit être mises en place en même temps que les autres leviers identifiés plus haut. À Toulouse, c’est cela qui permettra de rétablir la confiance entre le secteur et les riverains. Si ces derniers constataient l’amélioration de la qualité de l’air et que la diminution du bruit dus au trafic aérien, les débats seraient beaucoup plus apaisés. Et le défi d’une aéronautique plus durable relevé.
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