À la veille du décollage de l’astronaute Thomas Pesquet vers la Station spatiale internationale, Jean-Baptiste Desbois, le directeur de la Cité de l’espace à Toulouse, nous livre son regard sur l’exploration spatiale. Sans perdre sa passion pour cette incroyable aventure humaine, celui-ci rappelle l’importance de prendre également soin de notre planète. Entretien.
Demain, Thomas Pesquet va décoller, pour la seconde fois, vers la Station spatiale internationale (ISS). Comment vivez-vous cet événement ?
Chaque décollage est toujours un grand moment. Très émouvant et plein de tension. Même si j’ai déjà assisté à plusieurs lancements, notamment le premier de Thomas Pesquet depuis Baïkonour, l’émotion est quand même au rendez-vous. Surtout quand ce sont des hommes qui sont à bord. Car, même si tout est minutieusement préparé, il y a toujours une part de risque.
Que représente, pour vous, cette seconde mission de Thomas Pesquet ?
C’est un mission importante. D’autant que Thomas Pesquet sera promu commandant de bord dans les derniers mois à bord d’ISS. Ce sera le premier Français et le quatrième Européen à accéder à ce poste. C’est un signal fort de reconnaissance pour la France qui se positionne ainsi comme un acteur important auprès des États-Unis. Par ailleurs, avoir un astronaute dans un vol habité est une bonne chose car ce type de mission est très iconique et permet d’incarner l’exploration spatiale avec des hommes et des femmes. Le public peut ainsi se projeter dans cette aventure de manière plus extraordinaire qu’à travers le périple d’un robot ou d’un satellite. La présence des astronautes réaffirme la dimension d’aventure humaine. Même s’il ne faut jamais oublier que Thomas Pesquet n’est que la pointe visible de l’iceberg. Il y a de très grosses équipes qui travaillent au sol à préparer sa mission et faire en sorte que tout se déroule au mieux.
« Même si tout est minutieusement préparé, il y a toujours une part de risque »
L’espace, c’est l’aventure ?
Il y a cette dimension dans le métier d’astronaute. D’abord parce qu’il y a toujours une part de risque et ensuite parce que leur rôle, c’est de repousser les frontières. D’aller vers des territoires inconnus pour les apprivoiser, les étudier, essayer de les comprendre et de nous en donner les clés. Dans l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu des aventuriers qui ont osé quitter leur zone de confort et se rendre au-delà de ce qui semblait évident. Depuis le premier homme préhistorique qui s’est aventuré hors de sa caverne, il y a des hommes qui ont exploré des forêts, traversé des rivières, grimpé des montages ou pris le risque de quitter la côte. Comme le navigateur Christophe Colomb qui s’est lancé au large de l’océan, dans un milieu où tous ses repères habituels disparaissaient. Les premiers astronautes qui effectueront le voyage vers Mars vivront la même chose à l’échelle de la planète. En effet, depuis Mars, après un voyage de six mois, la terre n’est plus qu’un petit point lumineux parmi tant d’autres.
« La génération qui vient va vivre les premiers pas de l’Homme sur Mars »
Un vol habité vers Mars, c’est pour bientôt ?
Ce n’est pas pour aujourd’hui, ni pour demain mais pour après-demain. La lune, c’était trois jours de voyage. Pour Mars, il faut compter six mois. Ce qui veut dire un voyage aller-retour de près de deux ans. Pour le moment, nous n’avons pas encore les machines permettant de faire l’aller-retour. Le défi technique le plus important consiste à transporter le carburant suffisant pour redécoller de Mars. Une autre difficulté sera d’arriver à protéger les astronautes des rayonnements cosmiques dont l’exposition durant un telle durée est mortelle. Enfin, on ne sait pas comment pourrait se comporter un équipage confiné pour une mission aussi longue et sans possibilité de sauvetage en cas de défaillance. Mais, l’un des enjeux principaux des expériences qui vont être menées dans la Station internationale, c’est de préparer ces futurs voyages. Par exemple, les travaux de Thomas Pesquet serviront à étudier l’impact de la micro-gravité et de la vie confinée sur de longues périodes. La génération qui vient va vivre les premiers pas sur Mars comme la mienne a assisté aux premiers pas sur la lune en 1969.
50 ans après les premiers pas sur la lune, la conquête spatiale est donc relancée ?
Je n’aime pas ce mot de conquête qui suppose une compétition. Je préfère parler d’exploration. Les territoires vierges ont toujours attiré les hommes.
« Il n’y a pas de plan B pour notre planète »
Peut-on encore rêver de l’espace alors que se profile la menace du changement climatique ?
L’air comme l’espace ont toujours fasciné et fait rêver les enfants. Ce sont des sujets qui ont porté l’humanité. Réussir à voler fait partie des premiers mythes. Cela a toujours donné envie à l’Homme de se dépasser, de construire des outils pour s’élever et prendre de la hauteur sur le monde. Mais nous devons nous engager dans une approche raisonnable des choses. Et l’exploration spatiale n’échappe pas à cette nécessité. Aujourd’hui, par exemple, certaines personnes parlent de “terraformer” Mars. C’est-à-dire de la rendre habitable en créant des forêts, une atmosphère, de la vie et même des villes avec des écoles et des entreprises, pour aller s’y installer et fuir une terre rendue inhospitalière. Mais il est illusoire de croire que l’on peut fuir vers un autre territoire. On peut rêver d’espace, mais c’est de la terre que l’on doit se préoccuper. Pour ma part, je suis convaincu qu’il n’y a pas de plan B pour notre planète. Nous devons réfléchir à la question des limites à nous donner.
Thomas Pesquet effectuera son premier vol à bord du vaisseau Crew Dragon de Space X, un opérateur privé. Y a-t-il un risque de privatisation du spatial ?
Jusqu’à maintenant, le spatial était un domaine réservé à des agences gouvernementales. Et effectivement, nous voyons maintenant arriver des opérateurs privés. Même si les agences gardent la main sur la part de recherche scientifique, elles leur délèguent la logistique. Cette évolution s’accompagne de la montée en puissance du tourisme spatial. Or, c’est un tourisme élitiste qui va profiter à une minorité extrêmement riche avec un coût économique et énergétique démesuré. Il faudra compter presque 200 millions de dollars pour se payer une orbite complète autour de la terre ou 200 000 dollars pour un vol de quelques minutes à la frontière de l’espace, à une petite centaine de kilomètres d’altitude. Cela pose évidement des questions éthiques.
« Comme nous devons le faire pour notre planète, nous devons également nous demander comment protéger l’espace »
Quels sont les autres enjeux liés à l’espace ?
L’espace est de plus en plus accessible et de nombreux pays font leur entrée parmi les puissances spatiales. Ce qui multiplie les enjeux de défense avec l’émergence de ce que l’on appelle la guerre de l’espace. La France vient d’ailleurs de se doter d’un commandement militaire dédié, de la même manière qu’elle l’avait fait avec un commandement de l’air, il y a 100 ans, quand sont apparus les premiers avions. Nous devons également nous poser la question du droit dans l’espace. Il y a d’ailleurs des Comités internationaux qui se penchent sur ces questions pour déterminer, par exemple, s’il est légitime d’exploiter les ressources de ces nouveaux territoires ou s’il suffit de planter un drapeau pour se les approprier. Comme nous devons le faire pour notre planète, nous devons également nous demander comment protéger l’espace.
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