Chercheuse à l’université Jean-Jaurès à Toulouse, coordinatrice artistique du Festival Peuples et musique au cinéma, danseuse et réalisatrice, Mukaddas Mijit, née à Urumchi, capitale de la région autonome ouïghoure, s’inquiète de l’intensification de la répression chinoise subie par son peuple.
Ethnomusicologue, danseuse, musicienne et cinéaste, Mukaddas Mijit, chercheuse à Toulouse, ne cesse de faire connaître la culture ouïghoure ©Ursula HasenbuschVous êtes arrivée en France en 2003, à l’âge de 20 ans, quelles étaient alors les relations entre les autorités chinoises et la population ouïghoure ?
C’était une période plus ou moins stable. J’ai grandi et fait mes études à Urumchi, capitale du Xinjiang, la région autonome ouïghoure. De ce fait il était plus facile de voyager. Mais les contrôles et la répression ont toujours existé. Je vivais dans un quartier où la population, en majorité turcophone, avait déjà une conscience très forte d’une différence de traitement, d’être considérée comme des citoyens de seconde zone. La priorité étant systématiquement donnée aux Hans, ethnie majoritaire en Chine, je savais que j’aurais du mal à trouver du travail. C’est ce qui m’a poussé à partir. L’autonomie de la région n’existe que dans les traités, dans les faits, le Xinjiang a toujours été sous la tutelle de Pékin. Je fais partie de la dernière génération à avoir pu faire sa scolarité en ouïghour. Aujourd’hui, cette langue est interdite à l’école. De même, depuis trois ans, la police régionale oblige les Ouïghours à rendre leur passeport au gouvernement. Il ne leur est donc plus possible de quitter le territoire.
À quand remonte l’intensification de la répression chinoise ?
En 2009, suite à l’agression de travailleurs ouïghours accusés de voler le travail des Hans alors qu’ils avaient été amenés de force dans des usines chinoises, une manifestation pacifique a été violemment réprimée. Les autorités en ont profité pour instaurer un couvre-feu dans la province du Xinjiang, avec la présence systématique de l’armée dans les rues. Depuis, il y règne une ambiance permanente de conflit. Avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 et la nomination à Urumchi de l’ancien gouverneur du Tibet, la situation a complètement dégénéré. Des camps dits de ‘’rééducation’’ ont été créés dès l’année suivante et la répression ne concerne plus seulement les Ouïghours, mais aussi toutes les autres populations originaires d’Asie centrale comme les Kazakhs ou les Kirghizs. Pour justifier ses actes, le gouvernement chinois évoque le terrorisme et la radicalisation islamiste mais, en réalité, depuis la création de la République populaire de Chine en 1949, les autorités ont un problème avec les cultures différentes. Elles n’ont jamais pardonné les velléités d’indépendance ouïghoures.
Des témoignages récents font état de stérilisation des femmes, d’avortements forcés, de déportations massives, d’assimilation contrainte… Êtes-vous inquiète de la tournure récente des événements ?
Je suis très inquiète et depuis plusieurs années, bien avant que les médias ne commencent à s’intéresser au sort des Ouïghours. Cela fait quatre ou cinq ans que je n’ai plus aucun contact sur place. Mes amis m’ont même demandé de ne plus prendre de leurs nouvelles, car toute connexion avec l’étranger peut être, pour eux, un motif d’arrestation. Dans la diaspora ouïghoure, tout le monde connaît au moins une personne qui a disparu et dont on n’a aucune nouvelle depuis plusieurs années. Il y a peu d’information qui filtre, mais les témoignages récents sont horribles et des études sérieuses basées sur des documents officiels chinois prouvent également l’aggravation de la répression.
Peut-on parler de génocide ?
Certaines personnes parlent de génocide culturel, mais ce terme n’a pas de sens, c’est un génocide tout simplement. On ne sait pas ce qui se passe dans les camps, aucune mission d’observation n’y est autorisée. Mais si les choses continuent ainsi, ce peuple va disparaître. Il faut alerter le monde sur ce crime contre l’humanité. Ce qui se passe dans les camps du Xinjiang ne doit pas seulement inquiéter les Ouïghours, mais tous les citoyens. En effet, pour la Chine, derrière l’argument de « rééduquer des esprits malades », il y a une volonté dissimulée de tester et développer des technologies de surveillance de masse (Des quartiers entiers sont placés sous vidéosurveillance avec des dispositifs de reconnaissance faciale, NDLR). De même, depuis plusieurs mois, des rumeurs circulent faisant état d’administration forcée de médicaments non identifiés aux Ouïghours. On soupçonne les autorités chinoises d’en faire des cobayes pour effectuer des tests sur le vaccin contre le coronavirus.
Que ce soit en tant que chercheuse en ethnomusicologie rattachée à l’Université Jean-Jaurès à Toulouse ou à travers vos activités artistiques, votre démarche consiste à faire connaître votre peuple.
C’est face à l’invisibilité de ma culture en France que j’ai décidé de me lancer dans des études d’ethnomusicologie à mon arrivée à Paris. Depuis, effectivement, toutes mes activités en tant que chercheuse, danseuse, chorégraphe ou réalisatrice de documentaires et de court-métrage de fiction ont pour but de faire connaître et de sensibiliser le public à la culture ouïghoure à travers l’art. Comme toutes les autres cultures du monde, elle mérite d’être conservée, c’est une richesse humaine précieuse.
Existe-t-il une communauté ouïghoure à Toulouse ?
Il y a quelques étudiants dans les universités de Toulouse, mais la diaspora ouïghoure en France se trouve essentiellement à Paris. En revanche, la section toulousaine d’Amnesty International suit de près la situation au Xinjiang et particulièrement le dossier d’Ilham Tohti, un économiste emprisonné sur place. Plusieurs actions ont été menées à Toulouse pour faire connaître son sort et j’ai également participé à une conférence avec cet organisme.
La cause ouïghoure semble prendre de l’ampleur actuellement, que pensez-vous de la réaction de la communauté internationale ?
Je sens que l’on en parle de plus en plus. Le gouvernement français s’est prononcé pour la première fois en demandant à ce qu’une mission d’observateurs internationaux intervienne. Nous attendions cela depuis tellement longtemps. Mais le risque est qu’il s’agisse juste de prises de parole en attendant que les médias passent à autre chose et qu’il n’y ait aucune action concrète. Est-ce que la communauté internationale sera assez forte pour maintenir la pression sur la Chine ? On peut en douter, tant le pays excelle dans les jeux géopolitiques. Ce n’est pas pour rien qu’il a pris une telle place dans le monde.
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