PIONNIERS – Le JT a remonté le fil d’un jean Tuffery, le plus vieux tailleur de jeans en France. Basée à Florac en Lozère, cette entreprise familiale réussit à combiner préservation des savoir-faire régionaux et prospérité.
C’est Le vêtement indispensable de toute garde-robe. Passé à travers toutes les modes, le jean ne connaît pas la crise. Selon des chiffres du journal Le Monde, il s’en vend 1,9 milliard dans le monde et plus de 60 millions en France chaque année. Dans ce marché hyper concurrentiel et mondialisé, des fabricants français tentent de relocaliser leur production tout en limitant son impact sur l’environnement.
Les ateliers Tuffery, basés à Florac dans les Cévennes, n’ont pas attendu la remise au goût du jour du made in France pour confectionner un jean le plus local possible. Dans cette société familiale spécialisée dans la confection, on produit des pantalons en toile denim depuis quatre générations. Ici, ils sont taillés, assemblés et cousus maison. Un savoir-faire rare qui lui vaut le label d’entreprise du patrimoine vivant décerné par l’État.
Plus d’un siècle de tradition qui aurait bien pu disparaître dans les années 1970. « À cette époque, la concurrence de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie a explosé et le secteur textile a dégringolé en France. Ils étaient alors vus comme une curiosité, mais mon père et mes oncles ont toujours refusé d’abandonner le made in France. Ils ont survécu grâce à la fidélité des consommateurs du coin », raconte Julien Tuffery qui a repris les rênes de l’affaire familiale en 2016 avec sa compagne Myriam. À son arrivée, le couple dépoussière la marque en boostant le e-commerce. En trois ans, l’activité progresse de 600%. Aujourd’hui, plusieurs milliers de jeans sortent chaque année de l’atelier pour être vendus dans le monde entier.
« Une partie des consommateurs recherche plus d’éthique et fait de plus en plus attention à ce qu’elle porte, nous sommes influencés par ce mouvement », explique le jeune directeur. Outre sa toile robuste, le “Tuff’s” répond à ces nouvelles aspirations en utilisant les ressources et les compétences dans le rayon le plus proche possible. « Si l’on se secoue un peu, on a tout le savoir-faire à portée de main. Mais il est fragile », poursuit Julien Tuffery.
Les soubresauts de l’industrie du tissage dans le Sud-Ouest en témoignent. Pour s’approvisionner en toiles de sergé de coton noir, le tailleur lozérien a travaillé pendant plusieurs années avec Tissage du Causse, basé dans le Tarn. Mais, en 2017, cette entreprise a mis la clé sous la porte. Tuffery se tourne alors vers Clarenson, l’un des derniers tisseurs du Tarn, et autre exemple d’entreprise qui a su préserver son savoir-faire.
Depuis un an et demi, 9 des 13 salariés ont repris en Société coopérative ouvrière de production cette entreprise créée en 1932. Sa spécialité : la toile de tweed féminine pour les vêtements haut de gamme, comme celles utilisées pour les emblématiques vestes Chanel. La Scop Clarenson fabrique 100 000 mètres de tissu par an, vendus en grande majorité à l’export pour des marques comme El Corte Ingles, Missoni ou encore la maison Weill. Si l’entreprise perdure, c’est grâce à « la haute-valeur ajoutée de ses tissus. Ils demandent un savoir-faire précis, c’est un métier de longue haleine », estime Marie-Hélène Galinier, une des sociétaires.
De son côté, outre le choix des toiles, Tuffery essaye de limiter l’impact environnemental de ses pantalons. 90 % des jeans sont rincés en France dans la Sarthe avec des procédés écologiques. Certains modèles sont aussi teints en indigo dans le Nord de l’Italie, une méthode naturelle, d’autres utilisent de la toile de coton certifié bio. « Tout cela coûte beaucoup plus cher, mais nous arrivons à préserver des tarifs accessibles autour d’une centaine d’euros en écoulant l’intégralité de notre production par la vente directe », indique Julien Tuffery.
Pour accompagner le développement de la société, la marque cévenole vient d’inaugurer du site flambants neufs à quelques encablures des ateliers historiques. Avec de grandes baies vitrées pour laisser passer la lumière mais aussi pousser jusqu’au bout la transparence chère à l’entreprise. « N’importe qui peut visiter nos ateliers, comprendre comment on confectionne un jean », glisse le directeur qui ne compte pas s’arrêter là. L’équipe travaille en ce moment avec la filature Le Passe-Trame basée près de Mazamet. « On voudrait concevoir un tissu qui mélangera du coton et de la laine 100 % française », lance avec enthousiasme Julien Tuffery. Signe que le tailleur cévenol n’a pas fini de tisser sa toile.
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