Débat. Les lieux de vie des gens du voyage alimentent toujours les débats. Comme si le sujet entraînait des stigmatisations …
Par Julien Davenne
Jadis, les gens du voyage n’existaient pas. Bien sûr, depuis le Xème siècle, des groupes nomades, venus d’Inde, sillonnaient la planète, prenaient attache, mais sans prendre racine. Naguère, on était mal à l’aise. Le gadjo hésitait : manouches, bohémiens, gitans, gipsies, roms, romanichels. Pas facile de s’y retrouver, surtout quand l’ignorance et le fantasme amalgamaient, pour ne plus faire place qu’à un seul sentiment : le rejet. En 1876, l’appellation tzigane est apparue, jusqu’à ce qu’en 1972, un décret relatif aux activités économiques ambulantes, introduise le concept de gens du voyage. Aujourd’hui, l’appellation est devenue générique, un peu fourre tout. Dans sa furieuse volonté normative, la technocratie est parvenue à niveler, faisant croire à l’existence d’un groupe homogène. Il n’en n’est rien, mais c’est plus pratique. De fait, l’appellation s’est installée. Les associations, les médias et les politiques l’utilisent. Les gens du voyage aussi, même s’ils ne voyagent plus. C’est le cas de Bébé, de Nicole, de Ratheber et de Jean. Leur horizon, c’est l’aire d’accueil de la Mounède. Plus de vingt ans qu’ils y vivent, plus de vingt ans qu’ils y sont sédentarisés, sans pour autant avoir renoncé à leur mode de vie, à leurs activités professionnelles traditionnelles. Au fil du temps, les roulottes sont devenues caravanes, les caravanes, mobiles homes et les mobiles homes, des constructions hybrides. Des extensions ont été construites, des agencements imaginés. Une seule condition : que l’ensemble soit démontable. C’est qu’une fois par an, en été, les gens du voyage doivent partir. Ils doivent, mais ne veulent pas. Une injonction municipale leur fait obligation de laisser la place aux services municipaux pour des travaux d’entretien. Mais les travaux restent théoriques. Les canalisations sont toujours bouchées, les sanitaires en friche, la peinture s’écaille. Bébé a la cinquantaine, une belle bedaine et les yeux rieurs. Bébé ne se fait aucune illusion. Pour lui, l’obligation de quitter l’aire vise à les empêcher de demander l’aide personnalisée au logement, à laquelle ne peuvent prétendre les nomades. Pourtant, les habitants de la Mounède s’acquittent de la taxe mensuelle. Ratheber paye 150 € par mois, son fils qui a six enfants, en lâche 300. Ils payent l’eau, l’électricité. Leurs enfants sont scolarisés aux Pradettes : « ça se passe bien, l’école c’est important, il y a des gamins du quartier qui viennent et nos enfants vont chez eux, c’est normal, on est toulousains, on est français. » Français, oui, mais soumis à l’obligation du carnet de circulation qui fait d’eux des étrangers de l’intérieur. En 2012, le Conseil constitutionnel a abrogé une partie de la Loi relative à l’obligation d’être inscrit depuis plus trois ans dans une commune pour pouvoir voter. Le carnet est toujours obligatoire, mais Jean n’en n’a que faire, d’ailleurs il ne l’a pas : « j’ai mon passeport, ma carte d’identité, le carnet, on ne nous le demande jamais, alors, je m’en fous. » De nouvelles aires d’accueil sont envisagées ; reste à trouver les sites et ce n’est pas simple. Les riverains n’en veulent pas, les élus rechignent. Comme jadis, comme naguère. Comme toujours.
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