Complémentarité. C’est autour de croissants, chocolatines et autres pains aux raisins que Philippe Guérin, Yves Jarland et Jutta Dumas ont échangé, de bon matin, sur nos sujets du jour, à savoir les inondations sur la Côte d’Azur, le plan anti-évasion fiscale de l’OCDE et la grève à Air France. De quoi bien débuter la journée.
Par Coralie Bombail et Séverine Sarrat
Il paraît que le matin est le moment le plus propice de la journée à la réflexion. Cela tombe très bien puisque nous avons convié nos invités à un petit-déjeuner cette semaine. Et l’adage s’est vérifié ! Tous fourmillaient d’idées ouvrant à une discussion riche, comme cela a été le cas pour le premier sujet abordé, celui des inondations sur la Côte d’Azur. Suite à de violents orages, les rues de Cannes et ses alentours se sont transformées en torrents de boue, causant la mort de 20 personnes. Et les premières réactions ne se font pas attendre : « Je suis frappé par la fréquence et l’intensité de ces phénomènes météorologiques », explique Philippe Guérin, déplorant que les coupables désignés soient encore les élus, pourtant contraints par les règles d’urbanisme, et donc de l’Etat. A l’unanimité, nos trois invités s’accordent à dire qu’il faut changer les plans d’urbanisme et donner aux élus qui signent les permis de construire, les éléments techniques qui permettraient de prévoir les risques. « Je n’ai pas compris pourquoi les gens ont eu un réflexe contraire à ce que leur instinct de survie leur dictait. Au lieu de se réfugier en hauteur, ils sont descendus dans les parkings pour récupérer leur voiture. Alors protection des biens ou manque de préparation à de telles catastrophes ? » s’interroge Yves Jarland. Ce qui, il est vrai, n’est pas le cas partout, comme au Japon où des consignes de protection aux tremblements de terre sont données avant chaque événements.
« Nous pensons qu’il ne peut rien nous arriver » Philippe Guérin
« Ici, nous n’avons pas cette culture, nous pensons qu’il ne peut rien nous arriver », constate Philippe Guérin, tout en rappelant que des dispositions ont été prises pour que les bâtiments publics soient munis de bassins d’orage et que les fondations hors d’eau soient basées sur les crues centennales. « Certes, mais nous parlons là du public. Qu’en est-il du privé ? Car les plus touchés sont bien les particuliers », le coupe Jutta Dumas. « Avons-nous tiré les leçons des inondations qui avaient eu lieu à Nîmes en octobre 1988 (10 morts) ? Des plans inondations ont été menés mais ils ne sont pas souvent appliqués », déplore-t-elle. La présidente du collectif Non à Val Tolosa se souvient aussi de Plaisance du Touch sous les eaux, « c’était en 2014 ! Nous avons saisi la préfecture pour qu’ils s’intéressent à l’imperméabilisation des sols. Réponse : ces phénomènes n’arrivent que tous les 100 ans ! Pourtant cette année, rebelote ! » Effectivement, tous nos invités ont remarqué que des tempêtes de vent, des inondations, des sécheresses… qui restaient jusque-là des épisodes exceptionnels, deviennent de plus en plus fréquents et de plus en plus violents. « Malheureusement, ces paramètres ne sont pas intégrés dans les règlementations », déplore Jutta Dumas, relayée par son voisin de table Yves Jarland : « Pourtant nous disposons de moyens technologiques capables de prévoir les intempéries à l’heure près et de les localiser précisément, par exemple lors du tournoi de Rolland Garros, il suffirait de les adapter. » Parce que, comme le souligne le président du Comité départemental du tourisme, « nous sommes très forts concernant l’organisation des secours mais pour la prévention, il reste du travail à faire ! » Et en ces temps où le forum COP 21 prend forme, il serait temps d’éveiller les consciences.
« Airbus a installé son siège social à Amsterdam et combien d’avions sont fabriqués là-bas ? » Jutta Dumas
Car en matière d’économie, les consciences semblent frémir. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) vient d’annoncer un plan en 15 points pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales, estimant de 100 à 240 milliards d’euros, les sommes qui échappent aux Etats. Pour Philippe Guérin, « ce chiffre est sous-estimé ! Il faut parler de 300 milliards ! » Sans aller bien loin, encore une fois, « Airbus a installé son siège social à Amsterdam et combien d’avions sont fabriqués là-bas ? » s’interroge Jutta Dumas. Seules des raisons fiscales expliquent cette décision pour nos invités. « Les entreprises devrait être taxées à l’endroit où les biens et les services sont produits », affirme Yves Jarland, et c’est justement ce que l’OCDE préconise. Mais le principal problème reste les contrôles, car comme le souligne le représentant de l’ADIE, « c’est bien beau de faire des règlementations, mais encore faudra-t-il les appliquer ! » Le rôle de l’OCDE n’est en effet que consultatif, il faudra encore que chaque Etat légifère et c’est là que le bât blesse. « On n’est même pas fichu d’afficher la même législation fiscale au niveau local, sur un même territoire, alors pensez au niveau international ! » peste l’ancien maire de Cugnaux. Il règne ainsi un grand sentiment d’impuissance.
« Il existe trop de différences entre les pilotes et le personnel au sol » Yves Jarland
L’impuissance, c’est également ce qu’a dû ressentir le DRH d’Air France à sa sortie du CCE tenu lundi dernier lorsque des salariés, en colère suite à l’annonce d’un plan social, lui ont arraché chemise et veste. « C’est désastreux pour l’image de la compagnie et de notre pays. Nous étions déjà considérés comme les rois de la grève… si en plus les grévistes deviennent violents… » constate Yves Jarland. Outre le choc de cette agression, c’est toute une compagnie aérienne qui est aujourd’hui en difficulté sur le plan financier, « et c’est dramatique car c’est la meilleure du monde, elle porte haut les couleurs de la France ! » se désespère Philippe Guérin. Pour lui, il s’agit d’un problème structurel car l’entreprise n’a pas su s’aligner, elle n’est plus compétitive. « 25% plus chère que les autres, la compagnie subit en plus un conflit interne entre les différentes catégories de personnel », précise-t-il. Au lieu de se battre contre la concurrence, la bataille fait rage au sein même de l’entreprise. « Il existe trop de différences entre les pilotes et le personnel au sol et c’est encore à ces derniers que l’on demande un effort », acquiesce son voisin. « Les efforts doivent commencer à la tête d’une entreprise, non à la base » estime Jutta Dumas avant que Philippe Guérin ne rappelle la privatisation d’Air France il y a encore peu de temps et la lourde culture entrepreneuriale de la compagnie. Sur cette référence historique, le débat aurait pu continuer encore longtemps mais chacun, rappelé à ses obligations, se voit contraint de quitter la rédaction et clore ainsi notre rendez-vous hebdomadaire.
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