PÉDAGOGIE. Dominique Bons a assisté, impuissante, à la radicalisation de son fils puis à son départ pour la Syrie, d’où il n’est jamais revenu. Quand d’autres se seraient murés dans le silence et le chagrin, cette mère de famille a choisi, elle, de parler, de raconter son histoire dans les établissements scolaires. Avec l’espoir d’éviter de nouvelles tragédies.
À peine rentrée de Paris et juste avant de repartir à Clermont-Ferrand, entre colloques et réunions, Dominique Bons prend le temps de nous recevoir à son domicile, dans une rue tranquille de la banlieue nord de Toulouse. L’intérieur, cosy et contemporain, semble avoir été rénové récemment. « J’avais besoin de changement, mais je ne voulais pas quitter cette maison », confie-t-elle. Car c’est ici qu’a vécu son fils, Nicolas. Désormais, il ne reste de lui que quelques images. Un portrait dans le salon, et des photos de famille, bien alignées sur le frigo. Converti à l’Islam en 2010, Nicolas s’est progressivement radicalisé. Il est parti sans prévenir en Syrie, en mars 2013, où il est mort neuf mois plus tard.
Jusqu’au bout, Dominique Bons aura tout fait pour maintenir le dialogue avec son fils, qu’elle a éduqué « dans le respect d’autrui sans aucune forme d’idéologie religieuse ». Elle a voulu le raisonner, « lui ouvrir les yeux ». Malgré ses efforts, malgré leur lien « fusionnel », Nicolas a refusé de rentrer. « Ils ont été plus forts que moi », souffle-t-elle amèrement en parlant de ceux qui ont endoctriné son fils, qu’elle décrit comme « sensible, gentil, courtois, honnête, mais vulnérable, influençable ».
À l’annonce de son décès, la mère de famille a choisi de poursuivre sa lutte contre la radicalisation, « pour qu’il ne soit pas mort pour rien ». Dès janvier 2014, elle a ainsi créé l’association Syriens ne bouge, agissons. Très vite, de nombreuses familles qui vivent ou ont vécu le même enfer la contactent. « Elles avaient besoin d’être soutenues », explique-t-elle. « En tant que parents de jihadistes, nous sommes très critiqués par l’opinion publique qui pense que nous n’avons pas bien élevé nos enfants, que nous les avons laissés tomber. Par conséquent, nous sommes très isolés, il n’y a personne pour nous écouter, nous comprendre. » Dominique Bons s’évertue alors à mettre ces familles en relation, organise des rencontres avec des avocats, des sociologues…
Mais elle n’oublie pas son objectif principal : faire de la prévention pour éviter de nouveaux départs, et faire en sorte que personne n’ait à vivre les souffrances qu’elle a elle-même endurées. « Il faut faire prendre conscience aux gens que cela peut arriver à n’importe qui », dit-elle. Depuis 2016, elle se rend ainsi dans les établissements scolaires pour témoigner et sensibiliser élèves, enseignants et parents.
À Toulouse, Rodez, Albi, Alès, Rennes et même Bruxelles, quel que soit l’âge des écoliers, ses interventions suscitent empathie et réflexion. « Je raconte mon histoire, montre des photos de mon fils quand il était plus jeune avec sa sœur, je décris son parcours. J’entends souvent les élèves dire : “la pauvre maman”. Mais je ne veux pas faire de mélodrame, mon but est simplement de dire la vérité et expliquer que nous sommes tous concernés. » C’est parfois un électrochoc pour les jeunes. Puis les questions fusent : L’école a-t-elle un rôle important dans la lutte contre la radicalisation ? Les garçons sont-ils plus touchés que les filles ? Comment cela a-t-il pu prendre une telle ampleur ? « C’est toujours très pertinent », affirme Dominique Bons.
Au fil de ses réponses, la mère de famille les aide à y voir plus clair, à comprendre ce qu’est la radicalisation, à se méfier de ceux qui leur promettent monts et merveilles ou encore à détecter dans leur entourage les signes avant-coureurs. « S’ils voient qu’un de leurs camarades change de comportement, s’isole, ne participe plus aux activités, tient des propos qui ne lui ressemblent pas… Ils doivent en parler », insiste Dominique Bons.
Aujourd’hui, elle souhaiterait multiplier ces interventions auprès des jeunes et de leurs parents. Mais la tâche n’est pas aisée. « L’Éducation nationale reste encore frileuse sur cette question. Il y a toujours cette peur de perturber les enfants. Mais dès la sixième, ils sont tout à fait aptes à comprendre. Il suffit de parler avec leurs mots. En Belgique, ils sont beaucoup plus en avance que nous… » Elle cite ainsi l’exemple de son amie Saliha Ben Ali, dont le fils est également décédé en Syrie en 2013, qui intervient dans de nombreuses écoles outre-Quiévrain avec l’appui des pouvoirs publics.
En attendant un soutien similaire en France, elle souhaite que les enseignants et les chefs d’établissements prennent eux-mêmes l’initiative de la contacter pour organiser des rencontres. « Sans prévention, nous ne pourrons pas éradiquer ce fléau d’embrigadement de nos jeunes dans des mouvances jihadistes », insiste-t-elle. « On doit dire la vérité à notre jeunesse. Si nous ne le faisons pas, nous serons les premiers coupables. »
Dossier ” Radicalisation : Toulouse innove dans la prévention ” :
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