Le JT : Pour une fois, ces affaires de sexisme franchissent le cap des médias et on en parle. On en parle comme on n’en a jamais parlé ?
Marlène Coulomb-Gully : Les femmes font voler en éclat l’omerta. J’ai été frappée par le nombre des réactions, qui rappelle que le phénomène est bien ancré dans notre société. J’ai été frappée aussi par le nombre de ceux qui, en face, dénoncent la violence du hashtag « balancetonporc » ou les risques d’accusation sans fondement, ceux qui expliquent que ce déferlement ne rend pas service à la cause des femmes, ceux qui parlent d’hystérie ou de chasse à l’homme, etc. En même temps qu’une publicisation sans commune mesure de toutes ces affaires, il y a, déjà, le sentiment que c’en est trop.
JT : Comment expliquez-vous cette contre-réaction ?
MC-G : Lorsque les femmes parlent, elles dérangent. Par exemple dans le milieu politique, où ce n’est pas tant la présence des femmes que leur prise de parole qui suscite des réactions de violence ou d’injure sexiste. Pour certains, c’est de l’ordre de l’insupportable. Comme si la parole des femmes était toujours de trop. L’affaire Weinstein dévoile aussi le silence complice de beaucoup d’hommes vis-à-vis du sexisme. Combien ne résistent pas à un bon mot ou une blague sexiste ? Combien se taisent en entendant un proche parler des femmes de manière grossière ? Cette complicité renvoie à la structuration sexiste de la société.
“L’affaire Weinstein dévoile aussi le silence complice de beaucoup d’hommes vis-à-vis du sexisme“
JT : Sur tweeter, certaines victimes ont dénoncé nommément leur agresseur. N’est-ce pas dangereux ?
MC-G : Si, bien sûr. Mais combien de noms sont mentionnés dans ces tweets ? Très peu, face au nombre de femmes qui ont été victimes d’actes sexistes, en silence, sans que cela ne soit jamais dénoncé. Une femme sur 8 a subi un viol ou tentative de viol au cours de sa vie, 85 000 viols ou tentatives de viols sont recensés chaque année en France. Parallèlement, seul 10 % des victimes portent plainte et seul 10% des plaintes aboutissent à la condamnation de l’agresseur. Le silence est la norme, chez les victimes comme devant les tribunaux. Un silence à mettre en vis-à-vis avec cette parole qui emplit tout à coup l’espace public.
JT : Quel rôle les médias jouent-ils dans l’amplification du phénomène ?
MC-G : Ils sont complètement ambivalents. D’un côté, ce sont les médias qui sortent ces affaires, en l’occurrence pour celle-ci le New York Times. Ce sont eux qui permettent de les publiciser et qui finalement contribuent à briser l’omerta. Mais d’un autre côté, il y a une forme de complaisance, une instrumentalisation des témoignages, ressassés à l’envi sur les chaînes de télé et dans les journaux. Du voyeurisme pour faire de l’audience. Les médias occupent une position d’autant plus ambigüe qu’ils sont, comme la politique ou le show-biz, des mondes “male dominated”, où les femmes sont très souvent en proie à des comportements sexistes de la part des “mâles dominants”.
JT : Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère ? Y aura-t-il un avant et un après “scandale Weinstein” ?
MC-G : Il me semble que la libération de la parole ne peut être que positive. Cela pourra susciter une prise de conscience, ne serait-ce que parce que les hommes sont aussi des frères, des papas, des époux.
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