Contrôleuse générale des lieux de privations de liberté, Dominique Simonnot livre un témoigne glaçant, après la publication de son rapport sur la surpopulation dans la prison de Toulouse Seysses. Interview.
Le Journal Toulousain : Comment jugez-vous la situation actuelle au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses ?
Dominique Simonnot : Avec un taux d’occupation de 186 %, je la trouve symbolique de ce qui se passe dans beaucoup de maisons d’arrêt françaises. Une surpopulation criante du milieu carcéral dont nous avons collectivement et honteusement pris l’habitude. Tous autant que nous sommes : journalistes, politiques, citoyens, directeurs de prisons ou magistrats. La situation actuelle va pourtant bien au-delà des pires tableaux dénoncés par la Cour européenne des droits de l’Homme.
Comment s’est déroulée votre visite de l’établissement ?
Il s’agissait de ma première expérience “post journaliste’’, en tant que Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. La première fois que l’on m’ouvrait la porte d’une cellule. J’y ai vu trois gars entassés, 22 heures sur 24, dans 10 mètres carrés. Si vous enlevez l’espace des sanitaires, les lits superposés, la table et les chaises, il leur reste 1,28 m² par personne. Et il n’y a bien sûr aucune intimité, puisque tous les portillons des WC sont cassés. Je ne sais pas si vous voyez l’humiliation. Un détenu m’a raconté comment, avec ses compagnons de cellule, il avait dû déféquer dans un seau pendant plusieurs semaines, parce que les WC étaient bouchés.
Le rapport que vous avez rendu mentionne également la présence de leptospirose dans la prison…
C’est une maladie qui est transmise par l’urine des rats. Un détenu indigent l’a contracté après avoir fumé un mégot ramassé dans la cour. Certains dorment avec du papier toilette dans les oreilles, pour que les cafards ne rentrent pas dedans. On trouve aussi des punaises de lit dans tous les matelas, dont près de 200 sont à même le sol. Et les services sanitaires sont défaillants : les deux tiers des extractions médicales ne sont pas satisfaites.
Vous insistez sur la violence qui règne au sein de la prison
C’est le corollaire de la surpopulation. Je parle de la violence des détenus entre eux ou envers le personnel. Mais aussi de celle du personnel envers les détenus. Les gens deviennent dingue là-dedans. Beaucoup de ceux que nous avons vu ont trop peur pour aller en promenade.
Comment avez-vous réagi à tout cela ?
Je connaissais la situation auparavant, mais l’avoir devant les yeux, ce n’est pas pareil. J’ai pris cela en pleine figure. Une image horrible. Je me suis demandé : ‘’C’est ça la France ? Comment en sommes-nous arrivés là ?”
Que vous ont répondu les ministres de la Justice et de la Santé, suite à vos recommandations ?
Beaucoup de blabla et pas grand-chose de concret. Olivier Véran nous annonce l’arrivée d’un deuxième camion d’extraction médicale, mais sans chauffeur. Quant à Éric Dupond-Moretti, il a mis en avant les mesures prévues dans son projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Une loi qui devrait au contraire augmenter la population carcérale d’au moins 8000 détenus d’ici 2023, selon les études d’impact. Cela ne laissera pas suffisamment de temps pour construire de nouvelles prisons. Alors même qu’il faudrait d’abord remettre en ordre celles qui existent.
N’avez-vous pas parfois l’impression de prêcher dans le désert ?
Non, car l’institution que je représente a une vraie légitimité et porte un regard impartial sur la situation des prisons du pays. Nous en rencontrons tous les acteurs, nous leur indiquons les bonnes pratiques et il y a de réels changements sur place après notre passage. Notre voix finit souvent par porter, sur certains points. En revanche, au sujet de la surpopulation, je ne me fais pas d’illusion : nous sommes dans une année d’élection qui portera principalement sur les questions de sécurité… On va en baver ! Mais je suis tenace. Et je ne me lasserai jamais de répéter les choses qui doivent changer.
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