Suite à la prise de Kaboul par les talibans, la communauté afghane de Toulouse vit un cauchemar. Inquiétude pour les proches et incertitude quant à l’avenir du pays… Saiedmisbah Saiedzada, le secrétaire général de l’association culturelle afghane Pamir, livre son témoignage.
Comment vivez vous, depuis Toulouse, le retour des talibans au pouvoir ?
Saiedmisbah Saiedzada. C’est un cauchemar. Comme vous le savez, les talibans ont pris le pouvoir suite au départ du président Ashraf Ghani. Pour le moment la situation est relativement calme, mais nous nous demandons qu’est-ce qui va se passer désormais vu ce que nous connaissons des talibans. Nous savons bien que la situation peut dégénérer. Les talibans ont déjà commencé à chercher ceux qui ont collaboré avec l’ancien gouvernement, les forces de polices ou les militaires américains. Beaucoup de gens sont dans ce cas et en danger de mort. Même la communauté internationale n’a pas vraiment de solution.
La prise de Kaboul a été un choc pour vous ?
Nous avons ressenti de a déception et un sentiment d’abandon. D’une part à cause de la réaction du président Ashraf Ghani qui a fuit face à la menace, mais également à cause du départ des américains. Ce n’était pas le moment de nous laisser seuls face au terrorisme alors que la situation était encore très instable. C’est d’autant plus désespérant que pendant 20 ans, nous avons eu l’espoir de faire vivre des droits, notamment pour les femmes et les communautés homosexuelles, ainsi que des valeurs de liberté.
Comment réagi la communauté afghane de Toulouse ?
Depuis la prise de Kaboul, de nombreuses familles très inquiètes contactent notre association pour essayer d’obtenir des informations sur comment évacuer leurs familles. Tous les jours, notre téléphone sonne sans arrêt dès huit heures du matin. À Toulouse et dans les environs, il y a près de 200 familles afghanes, soit près 1000 personnes. La seule solution que nous pouvons leur proposer est d’entrer en contact avec le ministère des affaires étrangères via leur service de crise. Mais ce dispositif est réservé aux familles française et aux personnes qui ont collaboré avec le gouvernement afghan, l’ambassade ou les troupes françaises. L’unique bonne nouvelle, c’est qu’internet et les réseaux de téléphone n’ont pas été coupés. Du coup, nous sommes encore en lien avec nos proches en Afghanistan.
Comment avez-vous reçu le discours du président de la république Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron a répondu clairement. L’accueil des personnes qui ont collaboré avec les autorités française est déjà une excellente nouvelle et représente un geste amical. Je crois qu’il ne pouvait pas dire ni faire plus. La France ne peut rien toute seule. Il faut qu’il y ait des discussions entre les chefs d’État européens ainsi qu’avec les États-Unis. Il est surtout important et urgent d’agir pour les femmes afghanes et toute la jeunesse qui vont être privés d’espoir.
Qu’espérez-vous de la communauté internationale ?
Nous aspirons surtout à retrouver la paix dans notre pays. Mais il est difficile de savoir si cela peut s’obtenir par des négociation ou par une autre intervention militaire de la communauté internationale. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut dégager à fond ces groupes terroristes. D’autant plus qu’ils ne représentent pas uniquement une menace pour l’Afghanistan mais également pour l’Europe, la France, les États-Unis, le Canada ou, même l’Australie. Si notre pays reste aux mains des talibans, il va devenir un centre d’entraînement pour terroristes. Pour empêcher cela, il faut aussi que la communauté internationale retrouve les bases terroristes hors du pays, notamment au Pakistan.
Pensez-vous que l’accueil des personnes ayant collaboré soit suffisant ou faut-il accueillir plus largement les personnes qui souhaitent fuir le pays ?
Il est pratiquement impossible, pour la communauté internationale, d’accueillir toutes les familles qui sont en danger en Afghanistan. Et, pour nous, la solution n’est pas d’immigrer. Ce que nous souhaitons réellement c’est retrouver la stabilité et la sécurité dans notre pays.
Croyez-vous qu’il soit possible, comme l’évoquent certains pays, de négocier avec les talibans ?
Nous connaissons très bien les talibans. À part la charia (la loi islamique inspirée du Coran, NDLR), il ne vont rien entendre. Or, les droits des femmes et des communautés homosexuelles sont incompatibles avec la charia. Discuter avec eux sur les atteinte du peuple afghan est impossible. Hier matin, par exemple, 300 personnes ont hissé le drapeau afghan lors de manifestations. Les talibans ont tiré sur la foule faisant au moins trois morts et une douzaine de blessés.
Que pensez-vous des élus locaux qui se sont déclarés volontaires pour accueillir des réfugiés afghans ?
J’ai été très étonné. C’est un geste que nous n’attendions pas. Surtout dans cette période de pandémie et avec le contexte lié aux autres migrations. C’est une nouvelle qui nous est allée droit au cœur et qui a été un soulagement. Nous nous sentons moins seuls avec nos amis français à nos côtés.
Êtes-vous déçu que le maire de Toulouse ne se soit pas déclaré ”demandeur” ?
Toutes les villes ne sont pas nécessairement en capacité d’accueillir des réfugiés et d’autres sont encore en train de discuter sur le sujet. Peut-être que Toulouse ne se sent pas en mesure de proposer cet accueil. Pour cela, il faut des moyens financiers, des lieux d’hébergement, mobiliser des services sociaux… Mais je ne pense que ça veuille dire pour autant que la ville aie un problème avec les afghans. On ne peut pas dire que nous soyons déçus par qui que ce soit.
Comment les toulousains ou les collectivités locales peuvent vous venir en aide ?
Le plus important est de manifester pour conserver notre identité et notre drapeau. Afin, aussi, de montrer à tous les pays de l’Europe que les afghans veulent la paix et que ce qui est en train de se passer n’est pas acceptable pour la communauté internationale. Les droits humains, ceux de la femme et la liberté sont en danger. Dans ce combat pour les défendre nous avons besoin du soutien de nos amis français. Ensemble, nous devons porter un grand coup au terrorisme. Pour cela, nous donnons rendez-vous aux toulousain pour nous rejoindre, d’ici la fin du mois (la date du 28 août est à confirmer, NDLR), lors d’un rassemblement qui devrait se tenir au Capitole.
Commentaires