La maltraitance infantile est un sujet d’actualité et les violences sexuelles sur mineurs inquiètent. Les langues se délient et les victimes parlent jour après jour, comme Isabelle R. à Toulouse… 52 ans après les faits, elle livre son témoignage au Journal Toulousain…
Son histoire remonte à 1969. Isabelle R. avait cinq ans. Fille de parents immigrés, elle a grandi dans une famille aimante avec des moyens convenables. Ses frères étant très peu présents, elle se retrouve souvent seule après l’école. Comme tout enfant de son âge, elle cherche quelqu’un avec qui s’amuser et avoir de l’attention. Celui qui a su lui en apporter ne fit pourtant pas preuve de bienveillance… « J’avais envie d’être aimé, d’être regardé. Involontairement et ça je l’ai compris bien plus tard, je lui ai fait confiance », témoigne la victime, les yeux larmoyants. Aujourd’hui âgée de 57 ans, une culpabilité résonne encore en elle. « Je n’étais pourtant qu’une enfant ». Les silences durent aussi longtemps que ses mots au fil de son témoignage. Comme des lames de rasoirs, les phrases d’aveux sont encore difficiles à exprimer pour la quinquagénaire.
« Viens, ça ne fait pas mal » lui a glissé l’homme au creux de son oreille pour la première fois. Des phrases qui lui glacent encore le sang. Ces mots anodins pour la fillette à l’époque, mais qui remontent aujourd’hui avec amertume et dégoût. Cette voix fut celle de l’employeur de son père, ouvrier agricole à l’époque. La voix serrée, Isabelle R. explique avoir des « trous de mémoire » depuis, à être restée longtemps dans le silence et à avoir enfouis ce poids au fond d’elle. Témoigner est une « délivrance » pour elle. « Il me mettait en confiance. Il m’a touché et il m’a contraint à le toucher également », explique la femme âgée de 57 ans aujourd’hui. Il lui a fallu un moment pour comprendre ce qu’il se passait. À travers son regard espiègle à l’époque, l’homme prenait juste soin d’elle, lui apportait de l’attention. Celle qui vivait une enfance tranquille se mit à vivre dans l’ombre, partout où elle allait et même à l’école. Sa scolarité se transforma en échec dès son plus jeune âge. « Toi, tu n’as qu’à aller au fond de la classe, tu ne comprends rien ! » Sa maîtresse d’école ne voyait rien, mais Isabelle, elle, elle savait pourquoi, mais elle ne fut bientôt plus la seule.
Un jour sa mère comprit en apercevant des traces dans sa culotte. « Oh mon dieu » s’exclame sa génitrice en comprenant les faits. « Cette fraction de seconde, cette phrase, le regard de ma mère… Tout a basculé dans ma vie à ce moment là », témoigne la quinquagénaire, la gorge nouée. « Je me suis senti sale, coupable et honteuse », ajoute-t-elle en essuyant ses larmes. À mi-chemin entre la sécurité de l’emploi et le bien-être de leur fille, la mère d’Isabelle prit tout de même les devants en affrontant le patron de son mari, mais en vain. Le déni fut sa seule réponse…
Presque cinquante ans de silence se sont écoulées. « Aujourd’hui ce ne sont pas des pleurs de douleur, mais de libération », explique Isabelle avec un léger sourire derrière son mouchoir. Des maux de ventre jusqu’à une dépression, ce fardeau a eu un impact sur sa santé physique comme morale. C’est grâce au mouvement #METOOINCESTE qu’Isabelle décide de se débarrasser de ce poids seulement en 2018. « J’ai été victime d’un pédophile », explique Isabelle. Cette phrase d’aveux, elle arrive aujourd’hui à la prononcer. « Je suis entrée dans cette gendarmerie non pas pour me venger de cet homme, qui est mort depuis plus de 20 ans, mais je suis entrée pour moi, pour sauver la petite fille que j’étais et qui avait besoin de reconnaissance », explique la victime. Aujourd’hui, elle vit avec un compagnon aimant et est mère et même grand-mère. Elle souhaite se battre pour sa fille et sa petite-fille. « Je sens encore son sexe dans ma main », avoue timidement la femme derrière son masque.
Si les séquelles sont encore vives et les cauchemars bien trop fréquents, elle continue sa lutte aux côtés de l’association Les Papillons sur Toulouse pour guérir. Une thérapie et le soutien de sa famille l’aident également aujourd’hui à mener une vie meilleure. « Je suis très fière de moi. Je souhaite que cette association redonne des couleurs et des sourires dans la vie des enfants victimes de maltraitance », souligne Isabelle R.
Un silence empli d’émotions plane au sein du bureau de Maître Myriam Guedj Benayoun quand la quinquagénaire arrive à la fin de son histoire. L’avocate et Sarah Kadi, la référente de l’association Les Papillons sur Toulouse, sont présentes à ses côtés pour l’aider. « Beaucoup de gens sont dans le déni. On en parle, mais il y a un mur entre ceux qui ont envie que ça avance et ceux qui ne le souhaitent pas » ajoute l’avocate. « Il faut que la peur change de camp », ajoute Sarah Kadi.
Lucie Lescastreyres
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